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que leur saint Patron dira en les voyant ainsi : « Seigneur, ils ne se sont peut-être pas assez brouillés avec les vanités du monde ; mais tout de même, quel beau corbillard ! Quels beaux anges d’ébène ! Et quels chevaux ! Et quels cochers ! Seigneur, recevez-les dans votre miséricorde — les pauvres ! »

iv. — monsieur kalindero

Pourquoi je rendis visite à M. Kalindero, administrateur des Biens de la Couronne, je ne me le rappelle pas exactement, et cela n’a aucune importance. M. Kalindero est un homme délicieux, un homme qui semble vivre comme vous et moi, mais qui en réalité vit d’une tout autre vie merveilleuse et légendaire. Je sens poindre un mythe dans l’histoire de ce Roumain dont les aïeux vinrent de la Grèce. Ses pieds pousseront des racines ; ses jambes seront prises dans une gaine de lierre et de feuillage ; des mains pieuses déposeront devant ses images du lait et des fleurs ; les mésanges de la Balta feront leur nid sur sa tête. On n’échappe pas à sa destinée. La destinée de M. Kalindero est d’être métamorphosé en dieu rustique.

À l’heure où je vous parle, M. Kalindero réside, au fond d’un jardin, dans le plus gracieux des chalets. Ce n’est pas un chalet ordinaire. On devine, rien qu’à le voir, que les plus beaux arbres de Sadova dans la plaine, de Dobrovetz dans les collines, et de Borca dans la montagne, se sont dit un jour : « Si nous allions à Bucarest abriter et loger notre petit père, M. Kalindero ? » Et ils se sont mis en route comme à l’époque des Orphées. Et M. Kalindero respire, marche et travaille au milieu de ces essences familières, dans l’odeur âpre et fraîche de la plaine, de la colline et de la montagne.

Mais il ne s’y oublie pas. M. Kalindero a le don de se transporter en un clin d’œil des rives du Danube au sommet des Carpathes. C’est le bon génie des bois, des coteaux où croissent les vignes, des pentes où naît le houblon, des pâturages, des labours, des étables et des chaumières. Derrière lui, les cerfs et les chevreuils bondissent, les vaches gonflent leur pis, les poulains cabriolent et les ruchers ronflent. Pour les terres pauvres, cet homme fantastique a les yeux pleins d’azote. Son regard les engraisse. Un matin, le paysan aperçoit en face de chez lui une fine église qu’il n’avait jamais vue. Il se frotte les yeux, croit