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rêver, puis réfléchit : « C’est M. Kalindero qui a passé. » « C’est M. Kalindero qui a passé ! » s’écrient les enfans qui découvrent au tournant de la route une maison d’école dont ils n’avaient jamais soupçonné l’existence. De tous côtés retentissent : Vive le Roi ! Vive la Reine ! Vive le Prince ! Vive la Princesse ! Et l’on se dit : « Bon ! c’est M. Kalindero qui passe. »

M. Kalindero s’imagine avoir l’oreille un peu dure, mais les paysans seront les derniers à s’en apercevoir. Et je crois que cette très légère surdité vient de ce qu’il écoute toujours au fond de lui-même le grondement des machines à battre et le grincement des scieries. Dès qu’on l’entretient de son œuvre, il entend à merveille : ses yeux pétillent, sa bouche s’éclaire d’une malice charmante : « Oui, fait-il, l’ancien docteur en droit de Paris, l’ancien magistrat que je suis s’est consacré tout entier à l’agriculture. J’y ai apporté du bon sens et l’amour de mon pays. J’enseigne aux hommes à défricher les champs, à élever leur bétail, à régler la coupe des forêts, à tresser le chanvre, à tourner l’osier, à mouler l’argile, à tirer de la terre toute l’aisance et toute la joie qu’elle peut leur donner. Mais je leur prêche aussi la morale qui fait les sillons plus beaux et la religion qui les rend plus sacrés. Vous lirez mes discours prononcés en roumain et publiés par moi-même en français. Et surtout, ne l’oubliez pas, je leur inculque la fidélité dynastique qu’ils avaient désapprise depuis Étienne le Grand et Michel le Brave. Tenez, voici une petite bibliothèque populaire que notre administration répand sur ses domaines. Prenez un livre : Confection des chapeaux de paille, ou Culture de la luzerne, ou Notions sur les potagers. Ouvrez-le. Qu’y voyez-vous à la première page ? Le portrait du Roi ; le portrait de la Reine ; le Prince en grand uniforme ; notre adorable Princesse ! Je vous recommande ces illustrations … Et je veux que nos paysans s’instruisent et s’amusent. J’organise des conférences d’instituteurs. Je leur bâtis des théâtres. Oh ! le bon peuple si longtemps méconnu ! La bonne terre si longtemps maltraitée ! La bonne, grasse, plantureuse et sainte terre ! Que lui faut-il ? Du fumier, — pas d’engrais chimique ! — rien qu’un peu de fumier, et la douce lumière de la raison ! »

Il repousse ses livres et saute sur ses pieds : — Venez, que je vous montre notre musée.

Malgré sa corpulence et son poil gris, c’est un jeune homme