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de la droite ni de la gauche. Et de cette attitude j’ai recueilli tous les inconvéniens, mais aussi tous les avantages, et, si j’avais à recommencer ma vie, je ferais de même. »


Et pourtant cette belle vie de Théodore Fontane nous offre, elle aussi, son « mystère, » une de ces inquiétantes énigmes psychologiques qui se retrouvent, décidément, jusque dans les existences les plus pures et les plus tranquilles. Les lettres qu’on vient de publier ont été triées et classées, après la mort du poète, par sa veuve ; et c’est elle qui, ensuite, avant de mourir, a ordonné qu’elles fussent publiées sous leur forme présente. Or il n’y a pas une de ces lettres, depuis le début du premier volume jusque vers le milieu du second, qui ne contienne les reproches les plus graves à l’adresse de Mme Fontane. Celle-ci, à les en croire, aurait été une créature tout à fait détestable : capricieuse, querelleuse, incapable de comprendre son mari, et si assidue à le tourmenter en toute façon qu’elle aurait fait de son intérieur, trente années durant, un véritable enfer : « Je ne puis pas te cacher, lui écrivait Fontane le 9 février 1857, que tes perpétuelles disputes avec tout le monde me réduisent presque au désespoir. » Ou bien encore, le 23 juin 1862 : « Tu me demandes si tu me manques ? Oui certes, mais tu me manquerais bien davantage si l’expérience des dernières semaines ne m’avait montré de nouveau que notre vie commune est pour moi une épreuve au-dessus de mes forces. » Le 15 août 1876, il lui disait : « Ma chère femme, c’est toujours entre nous la même vieille chanson. Tu m’irrites jusqu’au sang et tu t’étonnes ensuite que je m’échauffe et devienne amer. » Et, dans une des lettres suivantes, le 18 août : « Toutes les gentillesses que tu m’écris me touchent fort : mais j’y vois clairement les germes de nouvelles scènes et de nouvelles souffrances. » Le 12 juin 1878 : « Rien n’y fait ; en toute circonstance, ta conclusion est toujours que j’ai tort. Parfois tu me le dis amicalement, parfois durement : mais la conclusion est toujours la même. Que je discute une question d’art avec le dernier des sots, que l’on m’écrive une lettre injurieuse, que l’on trouve ma critique injuste, mes livres ennuyeux : toujours tu es du parti de mon adversaire. » Je m’en tiens à ces quelques extraits ; mais vraiment, c’est à chaque page de la correspondance que reviennent les plaintes, les récriminations, les reproches, et souvent avec tant d’aigreur que l’on éprouve une réelle gêne à devoir les lire. Sans cesse Fontane signifie à sa femme qu’il préfère la solitude à la vie commune, telle qu’il la trouve dans son ménage. Et parfois même sa