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mauvaise humeur d’ordinaire plus contenue, le porte jusqu’à gratifier Mme Fontane d’aphorismes comme celui-ci : « Le veuf qui se remarie n’est pas digne de la faveur que le ciel lui a faite en le délivrant de sa première femme. » Et c’est avec une telle compagne que cet homme a vécu étroitement uni pendant un demi-siècle : si étroitement uni qu’une séparation de plus de quelques semaines lui était intolérable, et que, certains jours, après avoir d’abord expliqué à sa femme combien il était heureux d’être éloigné d’elle, il terminait sa lettre en la suppliant de venir le rejoindre ! Et c’est Mme Fontane elle-même qui, tandis qu’il lui aurait été facile de détruire à jamais ces accusations portées contre elle, a voulu, au contraire, qu’elles fussent étalées tout au long sous nos yeux !

Étrange et embarrassant problème, que je ne me chargerai pas de résoudre ! Mais je dois dire d’abord que ceci, en tout cas, ressort avec une évidence absolue de la lecture des lettres de Fontane : c’est que sa femme a eu effectivement un tort, et des plus graves, à l’égard de son mari. Elle a eu le tort de ne pouvoir pas se résigner à le voir rester indéfiniment pauvre et obscur, avec tous les dons précieux qu’elle lui connaissait. Vingt fois, quand il a échoué dans une de ses entreprises, quand, par goût d’indépendance ou par dignité, il a refusé un emploi qu’on lui proposait, au bleu de le soutenir, elle lui a fait sentir qu’elle le blâmait, ou peut-être qu’elle le jugeait décidément hors d’état de réussir à rien. De telle sorte que, par elle, il a beaucoup souffert. Et je ne serais pas étonné qu’elle-même, plus tard, s’en fût rendu compte, et en eût souffert, et s’en fût repentie, et que son repentir eût été l’un des motifs qui l’ont décidée à immortaliser devant nous le souvenir de sa faute. Mais cette faute, pour fâcheuse qu’elle fût, ne laissait point d’avoir une excuse dans le sentiment dont elle s’inspirait : car c’est parce que Mme Fontane aimait profondément son mari, c’est parce qu’au fond de son cœur elle était profondément convaincue de sa supériorité sur tous ses confrères, qu’elle tâchait ainsi, de toute façon, à le pousser vers la fortune et la renommée. Son intérêt personnel n’avait point de part dans les rêves ambitieux où elle se complaisait ; elle rêvait simplement que son mari fût heureux ; et, pour l’y contraindre, trente ans elle s’est ingéniée à le tourmenter.

Mais au reste, et cela admis, je crois pouvoir affirmer qu’on se tromperait à prendre trop au sérieux les reproches de Fontane et ses doléances : car la querelle que nous laissent entrevoir ses lettres parait bien avoir été proprement une querelle d’amoureux. Si la femme, dans ce singulier ménage de Gascons berlinois vexe et persécute son