Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 26.djvu/108

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vi. — à iassi

Je suis redescendu vers le Sud et je m’arrête à Iassi, la capitale moldave. Un député roumain me disait : « Quand je vais à Iassi, j’appelle les Juifs des Hindous et je me crois à Calcutta. » Moi, je me crois en Allemagne. Il est impossible de se laver dans cette ville avec d’autres savons que des savons fabriqués à Hambourg ou à Cologne, impossible d’acheter un mouchoir de poche qui n’ait pas été tissé dans la vertueuse Germanie. Je note que les produits allemands ne s’y déguisent plus sous l’étiquette française. Ils ont rejeté masques et faux nez, et leur belle assurance ne nous laisse aucun doute sur leur conquête.

À une des tables de l’hôtel où je déjeune, voisine de la mienne, un grand Roumain d’aspect militaire est venu s’asseoir. On nous a servi un beefsteak, mais ce beefsteak excite visiblement sa méchante humeur. Tout à coup il se tourne vers moi : « Vous êtes Français, monsieur ? — Oui, monsieur. — Permettez-moi de vous demander comment vous trouvez ce beefsteak ? — Ni bon, ni mauvais, monsieur. — Il est exécrable ! » Et le pressant du plat de son couteau : « Regardez : pas de sang dans cette viande ! — Peut-être est-il trop cuit, dis-je. — Non, monsieur, il n’est pas trop cuit ! Il est kascher, abominablement kascher : voilà ce qu’il est ! On ne peut plus manger à Iassi que la viande kascher ! Et pourtant, jura-t-il, je n’ai pas fait vœu de manger de la viande kascher ! Garçon, enlevez-moi ce beefsteak et apportez-moi le fromage !… Ah ! monsieur, reprit-il après un instant de silence, nous en voyons de dures à Iassi ! C’est en vain que nos magistrats chargés de la surveillance des abattoirs essayèrent de substituer à la tuerie kascher la ponction céphalique. Cette révolution dura quatre jours pendant lesquels les Juifs égorgèrent tous les poulets de la ville et des environs. Mais le cinquième jour Bucarest envoya l’ordre de rétablir ces rites sauvages. Et depuis, il nous faut mâcher des viandes qui n’ont pas plus de jus qu’une semelle de botte ! Et tout cela, c’est de votre faute. — De ma faute ??… — Oui, monsieur ! J’en rends responsable la France. Rappelez-vous le Congrès de Berlin en 1878. C’est vous qui, suggérés par Disraeli ou par le Diable, avez réclamé l’égalité politique et civile pour les trois cent mille Juifs qui nous oppriment. — Mais puisque vous ne la leur avez