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Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 26.djvu/122

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pas suffisamment rendu hommage. Enfin, il a été par la date le premier de nos historiens littéraires. Il semble donc qu’avec La Harpe, la critique, telle que nous l’entendons, soit en possession de tous ses attributs essentiels. Mais La Harpe, comme Marmontel, ne s’est pas contenté d’être critique. Il a été poète, et poète dramatique, et une partie de son œuvre a fait tort à l’autre. De plus, il a été tellement bafoué pendant sa vie et après sa mort, on a tellement exploité contre lui certains défauts et certaines intempérances de caractère, bref, on a si bien réussi à envelopper ses livres dans le discrédit qu’on a jeté à pleines mains sur sa personne, que l’on a trop aisément méconnu l’originalité de son effort. Après lui, comme avant lui, la critique avait besoin encore, pour valoir tout son prix et remplir toute sa mission, d’être définitivement et officiellement enlevée aux folliculaires à gages et aux gazetiers faméliques.

Deux grands écrivains, deux nobles esprits, au lendemain de la Révolution, s’y sont généreusement employés. Après le livre de la Littérature, après celui de l’Allemagne, après le Génie du Christianisme surtout, peut-être, il n’était plus permis de voir dans la critique l’occupation désespérée d’écrivailleurs sans portée et sans conscience. On ne fuit pas facilement à un Chateaubriand ou à une Mme de Staël la réputation, d’ailleurs imméritée, d’un Fréron. Tous deux renouvelaient par la critique la conception même de la littérature. Mme de Staël invitait à regarder par-dessus les frontières, Chateaubriand à s’inspirer du christianisme. « Il restera vrai, écrivait bien plus tard, en 1841, Chateaubriand à Alfred Michiels ; il restera vrai que j’ai posé les premiers fondemens de cette critique moderne que tout le monde suit aujourd’hui, en montrant ce que la religion chrétienne a changé dans les caractères des personnages dramatiques et dans les descriptions de la nature, en chassant les dieux des bois. » C’était se rendre à lui-même un juste et fier hommage. Aussi, et quoique ni Chateaubriand, ni Mme de Staël n’aient été de purs critiques, voyons-nous se former autour deux toute une école d’écrivains, les Fauriel, les Villemain, les Ampère, les Nisard, qui consacrent à la critique une activité qu’en d’autres temps ils eussent sans doute tournée ailleurs. On les lit, on les applaudit quand ils professent à la Sorbonne, au Collège de France ou à l’Ecole normale ; ils ont du succès ; on les invite à