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l’Himalaya jusqu’au-delà du lac Baïkal, séparent la dépression où coulent le Syr et l’Amou-Daria, l’Obi et l’Irtyche, du bassin du Tarim et des plateaux de la Mongolie. De l’Europe Centrale et de la Russie jusqu’en Chine, en franchissant ces chaînes, la route est directe ; elle s’allonge en ligne droite à travers tout le vieux continent ; tandis que, des ports de la Baltique jusqu’aux mers Jaunes, par le cap de Bonne-Espérance ou même par Suez, c’est la plus longue navigation que l’on puisse faire sur le globe. « Le coureur de terres du haut Yénisseï peut courir aussi bien vers l’embouchure du fleuve Jaune que vers celle du Don, sans quitter son cheval, au lieu que le coureur de mers, riverain de la Vistule ou des détroits entre la Suède et le Danemark, ne peut pas courir aux bouches du Danube sans quitter son bateau : la navigation est trop compliquée, trop tortueuse, trop hérissée d’obstacles. » De Chine en Europe, la vraie route, c’est la route de terre, la fameuse « route de la soie. »

Le Gibraltar de cette voie terrestre, le point où il est facile de la couper, ce sont les passages par où elle franchit la barrière montagneuse qui sépare les Marches de la Chine des steppes du Turkestan et de la Sibérie. Entre les chaînons de l’Altaï, courant de l’Ouest à l’Est, et la longue arête parallèle que nos cartes désignent sous le nom de Monts-Célestes (en chinois Tian-Chan, en turc Tengri-dagh : montagne du Ciel ou montagne de Dieu), s’ouvre un long couloir, large de plus de cent cinquante lieues. « Des seuils, des îlots, des promontoires bossellent et obstruent le fond de ce grand détroit ; mais, au nord et au sud d’un seuil que les Russes désignent sous le nom de montagnes du Tarba-gataï, par la dépression au fond de laquelle le lac Dzaïssan s’écoule dans l’Irtyche, et par celle où, après le lac aux Eaux-Violettes (Ala-Koul), les Sept Rivières vont grossir le lac Balkach, le détroit est largement ouvert entre l’Altaï et la Montagne du Ciel, donnant passage du bassin d’en haut à celui d’en bas[1]. » Ce passage, nos cartes le nomment : portes de Dzoungarie, et les Chinois, de tout temps, l’ont appelé Tian-Chan-Pe-Lou, c’est-à-dire route au Nord de la Montagne du Ciel. Le voyageur qui arrive de Mongolie peut encore se glisser entre les sables du Gobi et la chaîne du Tian-Chan et arriver au pied des Pamir, « terrasse du monde, » dans la dépression où s’élève Kachgar et,

  1. Le bassin d’en haut c’est la Mongolie, plus élevée de 1 000 mètres que le bassin d’en-bas (Turkestan et Sibérie).