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aux travaux des champs ; il vit en sédentaire, en tarantchi ; mais celui qui ne trouve pas place sur les gras pâturages, l’aventurier en rupture de ban, s’en va vivre en « marron, » en kazak (cosaque) sur la steppe indéfinie que la glace durcit l’hiver, qui poudroie l’été, mais qui, pendant la courte fête du printemps, se couvre de verdure et se pare de ces fleurs multicolores, de ces tulipes, dont les femmes reproduisent le chatoyant éclat en tissant les merveilleux tapis qui sont, chez tous les Turcs, le chef-d’œuvre de l’art national. Mais, coureurs de steppes ou sédentaires, Turcs et Mongols sont cavaliers et guerriers par vocation et par nécessité ; sous leur rude climat, ils ont besoin de se fouetter le sang ; ils aiment l’ivresse de la course, de la chasse et de la guerre ; ils méprisent le vilain, le « Sarte » qui peine sur la glèbe pour acquérir à la sueur de son front ce qu’un bon Turc gagne avec son sabre. Comment ne serait-il pas guerrier, quand, du haut de ses montagnes, il aperçoit à ses pieds la proie convoitée, la plantureuse Chine ou les riches oasis de la Transoxiane, où un brave trouve toujours sa fortune, soit comme conquérant, soit comme mercenaire ?

Un voyageur moderne, Brjewalski, décrit d’une façon saisissante le tableau qui se découvre devant le cavalier quand, venant du Nord, après un interminable voyage à travers la lande morne, il découvre à ses pieds la Chine. « Jusqu’au dernier jour, le voyageur est enfermé par les ondulations du plateau ; tout à coup paraît devant ses yeux un merveilleux panorama. Aux pieds du spectateur ravi se dressent, comme dans un rêve fantastique, de hautes chaînes de montagnes ; rocs sourcilleux, précipices et gorges profondes s’enchevêtrent et descendent sur de larges vallées où la vie déborde, où serpentent les rubans argentés d’innombrables cours d’eau. » « Il faut avoir vécu, ajoute M. Léon Cahun, les longues et monotones journées de marche à travers les interminables ondulations de la lande aride, pour comprendre le tumulte des passions que la vue des montagnes bleues, des plaines diaprées, des filets argentés d’eau courante, éveillent dans lame de l’homme armé et à cheval. Quand ces Turcs, de la crête du plateau, plongeaient le regard dans la Chine immense, ils ne doutaient plus de rien ; le pays n’était pas difficile ; ils voyaient de l’eau partout ; il n’y avait qu’à courir, à sabrer. Rapides, ils descendaient, saccageaient, disparaissaient, tels les montre le fameux vers persan :