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Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 26.djvu/167

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dans les circonstances solennelles, mais il ne les commandait pas en personne. Sa bravoure ne fait pas question ; il l’avait montrée dans les rudes années de sa jeunesse aventureuse, et, en un jour de crise, il en donna des preuves éclatantes. Ses meilleurs généraux étaient occupés au loin, quand, en 1221, Djelal Ed-Dine surgit tout à coup en Perse et souleva la population ; l’armée envoyée contre lui se fit battre à Pervan (près de Ghazna) ; on vit bien alors que Témoudjine était vraiment l’Empereur Inflexible ; il rallia lui-même ses troupes, marchant à leur tête, réconfortant les généraux battus et proclamant qu’ils avaient fait tout leur devoir ; à l’assaut de Bamiane, son petit-fils préféré venait d’être tué sur la brèche, l’Empereur, casque en tête, monta lui-même, le premier, aux échelles, devant toute l’armée qui, enthousiasmée par son exemple, enleva la place et vint à bout de Djelal Ed-Dine. Mais, en général, le Tchinghiz ne se réserve que la préparation diplomatique et politique des campagnes ; quand il a pratiqué ses menées secrètes, préparé ses alliances, noué ses intelligences, il trace aux généraux les grandes lignes de leur programme, leur laissant pleine liberté pour l’exécution. Il est sûr d’eux, car c’est lui-même qui les a choisis et il a été, dans toute la force du terme, un connaisseur d’hommes. Il a eu la vertu maîtresse des grands rois, ce génie de l’autorité qui inspire le fanatisme de l’obéissance.

Avant tout, ce conquérant a été un organisateur, un administrateur, un politique au cerveau froid, à la volonté tenace ; il n’a donné au hasard que le moins possible, juste ce que nul homme ne saurait lui enlever ; dans son œuvre, tout est calculé d’avance ; ses conquêtes se succèdent l’une à l’autre, dans un ordre logique, jusqu’à l’accomplissement complet de son programme. Les contemporains ne se sont pas trompés sur le caractère de l’homme dont les légendes postérieures ont fait un fléau de Dieu ; ils ont vu en lui surtout le grand législateur, l’homme du Yassak et du Toura, le grand souverain qui porta au loin la guerre, mais qui donna à ses peuples le bienfait de la paix et d’un bon gouvernement. « Il mourut, dit Marco Polo, dont ce fut grand dommage, car il était prudhomme et sage ; » et Joinville ajoute ce mot, qui peut paraître extraordinaire appliqué à l’homme qui a conquis le monde depuis la mer du Japon jusqu’à la Mer-Noire : « Il procura paix. » Jamais, parmi ces Turcs batailleurs, jadis toujours en lutte, peuplade contre peuplade,