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tracé, avec son pinceau, sur un écran de Chine. Sans une erreur, sans un retard, sans un à-coup, dans les trois journées décisives, l’extrême droite mongole était à son poste sur la Katzbach, le 9 avril, en face du duc Henri, vingt-quatre heures avant l’arrivée du roi de Bohème, et le battait. Les quatre colonnes du centre et de la gauche, Cheïbane, par la Wolhynie, Souboutaï par la Galicie, Kadane par la Transylvanie, se donnaient la main, le 10, entre le Danube et la Theïss, et envoyaient déjà leurs flanqueurs, par la Moravie, à la rencontre de ceux que l’armée de Silésie détachait par sa gauche. Le 11, l’armée hongroise était anéantie. Sur le champ de bataille, à chaque coup, la victoire avait été entière, écrasante, pas un instant douteuse. » Après ce grand triomphe, d’où il rapportait les dépouilles de toute l’Europe, le glorieux vieillard revient à Karakoroum, assiste à l’assemblée où Gouyouk fut élu Khan ; les fêtes n’étaient pas encore terminées qu’il montait à cheval pour aller prendre le commandement de l’armée qui allait conquérir la Chine du Sud. Il remporta ses dernières victoires sur le Yang-tse (1247-48), puis, enfin rassasié de gloire et de batailles, il demanda son congé et retourna mourir sous sa yourte, sur ce pré au bord de la Toula, d’où il était parti, encore enfant, pour courir les aventures avec Témoudjine. « De la Corée au Frioul, il avait vaincu trente-deux nations et gagné soixante-cinq batailles rangées. »

Nous avons vu comment et sur quels fondemens la puissante volonté de l’Empereur Inflexible avait créé la nationalité et l’empire mongols. Lui mort, l’élan qu’il avait imprimé à sa formidable machine continua longtemps encore d’en assurer la marche régulière ; mais les mêmes causes, qui avaient favorisé l’œuvre de Témoudjine allaient peu à peu, par la suite naturelle de leur évolution, travailler à la ruiner. L’idée nationale fondée sur le sentiment de la communauté de la race, peut suffire à forger, par le fer et par le feu, les assises d’un puissant empire, mais elle reste impuissante à en maintenir la cohésion lorsque l’unité est menacée par des forces dissociantes telles que la différence des religions et des civilisations. Le Tchinghiz Khan, en fondant un empire, n’avait pas créé une civilisation originale ; les diverses branches de la famille turco-mongole, après comme avant lui, allaient se trouver attirées par les deux foyers de vie et de culture autour desquels les hommes des steppes ont toujours gravité : la Chine et l’Iran. Aussitôt après la mort de l’Empereur Inflexible, on pouvait