Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 26.djvu/173

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

prévoir qu’il y aurait bientôt un empire « chinoise » en Extrême-Orient, un empire « iranisé » en Perse, un empire turco-russe en Kiptchak et enfin, en Turkestan et en Transoxiane, un empire turc qui resterait le vrai centre de la vie nationale et de l’orthodoxie musulmane.

L’Inflexible disparu, le parti des hommes de gouvernement, qui estimaient que l’empire était achevé, qu’il ne restait qu’à le maintenir et à l’administrer sagement, l’emporta sur le parti des sabreurs, qui croyaient que l’œuvre des Mongols ne serait pas complète tant que les nations du globe n’auraient pas toutes frappé la terre du front devant la majesté du Khan. Les vieux ministres du Tchinghiz, les Yelvadj, les Yelou-Tchoutsaï, disaient que « l’empire qui avait été fondé à cheval ne pouvait être gouverné à cheval, » et ils avaient raison ; mais le parti militaire, lui, comprenait d’instinct que c’en serait fini de l’unité le jour où viendrait à faire défaut la plus puissante des forces de cohésion, la présence aux frontières de l’ennemi à vaincre ; en cherchant, après chaque guerre, le prétexte d’une guerre nouvelle, il aurait voulu garder un suprême moyen de faire vibrer les cœurs à l’unisson ; mais ce rêve paradoxal ne serait-il pas lui-même acculé, à force de réussir, à un échec final ? Il était inévitable que l’empire fondé par le Tchinghiz allât se disloquant en divisions territoriales et en groupes confessionnels. La vieille terre des Mongols, les prairies de l’Onon et de la Kéroulène, ou fut ramené le corps du grand Empereur, avait toujours été dans la zone d’attraction de la Chine ; l’empire, en restant mongol, devait nécessairement se chinoiser : c’est un empire chinois que Khoubilaï, petit-fils de l’Inflexible, installa à Pékin ; c’est un empire chinois que vit Marco Polo. La forte race mongole eut le sort de toutes celles qui ont tenté de dominer la Chine, elle a été absorbée, assimilée par elle et, en même temps, elle a été énervée par le bouddhisme : « Des Mongols, il n’y en a plus, disait l’empereur Kien-Long, leurs prêtres les ont domestiqués. » Le bouddhisme a exercé, sur les petits-fils des soldats de Djébé et de Souboutaï, son action stupéfiante ; il les a énervés : en attendant un réveil que les révolutions de l’Asie provoqueront peut-être, il les a retranchés de l’histoire active et vivante.

L’époque du Tchinghiz Khan est le temps où les différentes religions qui se disputaient, en Asie, la maîtrise des âmes, se faisaient à peu près équilibre ; mais, l’œuvre d’unification