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Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 26.djvu/255

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réduit à croire ou que les choses ont marché d’elles-mêmes et par une sorte de hasard providentiel, ou que c’est véritablement Cicéron qui a tout conduit. Assurément le livre, tel qu’il est, n’était pas pour satisfaire le vaniteux consul, et il n’y a pas de doute que, s’il avait pu le connaître, il en eût été fort irrité ; mais il aurait eu tort. En somme, cet ouvrage d’un ennemi lui est plus favorable que ne le seraient toutes les flatteries et tous les mensonges qu’il mendiait des poètes et des historiens de sa connaissance. Sa figure en sort grandie, et Salluste aurait été véritablement un sot, si, quand il voulait attaquer la mémoire de Cicéron, il avait fourni des armes pour la défendre.

On voit que les raisons de composer le Catilina qu’on a prêtées à Salluste sont assez peu satisfaisantes. Pourquoi donc ne pas s’en tenir à celle qu’il nous donne lui-même ? S’il a raconté cet événement, nous dit-il, c’est qu’il est de ceux qui lui semblent mériter qu’on en garde la mémoire. N’était-ce pas un motif suffisant de le choisir ? Quand Salluste eut la pensée de se faire historien, un grammairien de ses amis, Ateius Philologus, se chargea, sans doute à sa demande, de composer un résumé de l’histoire romaine, pour la remettre toute devant ses yeux et lui donner ainsi le moyen de choisir les parties qu’il lui conviendrait de traiter. Il voulait donc, suivant son expression, débiter l’histoire romaine par morceaux, res gestas populi romani carptim perscribere. Si telle était son intention la conjuration, de Catilina devait être tout d’abord un sujet de nature à l’attirer. Il n’était pas assez lointain pour qu’on en eût perdu le souvenir, ni assez rapproché pour qu’on s’en souvînt dans le détail. Salluste en avait été le témoin, sans y être intervenu de sa personne, ce qui lui laissait plus de liberté pour en parler. Il avait recueilli les confidences de Crassus, il avait pu en causer avec César ; il était donc bien informé. Mais ce qui lui convenait surtout dans ce sujet, c’est qu’il était dramatique, qu’il mettait aux prises des personnages importans, qu’il lui donnait l’occasion de tracer leur portrait, de les faire agir et parler, de peindre les mœurs du temps, toutes choses dans lesquelles il excellait et dont le public était alors très friand. Il est donc très simple que Salluste, qui cherchait des succès de lettré, ait préféré le sujet de Catilina à un autre parce qu’il jugeait qu’il intéresserait le public et ferait lire l’ouvrage.

Ce qui achève de montrer que Salluste, en le composant,