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Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 26.djvu/256

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avait des préoccupations d’homme de lettres, c’est le soin qu’il a mis à le bien écrire. Son style n’est pas de ceux qu’on apporte en naissant et qui sont un don de nature. Devenu écrivain à plus de quarante ans, il se l’est fait à lui-même ; on y sent le parti pris et l’effort ; tout y est voulu et cherché. On est surtout frappé du contraste qu’il présente avec celui de Cicéron quand on passe brusquement de l’un à l’autre. Les mots d’abord ne sont pas tout à fait les mêmes et pris dans le même vocabulaire. Salluste en emploie volontiers qui étaient hors d’usage et qu’il est allé chercher jusque dans les livres du vieux Caton. A côté de ceux-là, qui lui paraissaient sans doute donner de l’autorité à son langage, il en introduit de plus simples, ou même de tout à fait vulgaires, pour avoir l’air d’éviter toute élégance d’école. Il n’était pas de ceux qui cherchent à donner de l’importance à la pensée par le choix des mots qui l’expriment. Il aimait, au contraire, à relever les mots par la pensée, et c’est en quoi il me semble qu’il a le mieux réussi. Sa phrase aussi est construite d’une manière nouvelle ; elle ne ressemble en rien à la période cicéronienne, avec ses compartimens symétriques. Ce qu’on y retrouve encore moins, et qui est l’âme même du style de Cicéron, c’est le développement, c’est-à-dire cette suite de périodes, s’entraînant l’une l’autre et nous conduisant d’un pas régulier et sûr jusqu’à l’entière conclusion du raisonnement. L’allure de Salluste est bien différente ; il procède par saillies, supprimant les intermédiaires, sous-entendant des idées, quitte à nous avertir par une conjonction, sed, igitur, etc., que nous avons quelque chose à rétablir. C’est dans ce travail obstiné, minutieux de Salluste, pour écrire autrement que Cicéron, qu’il faut chercher la preuve de son antipathie contre lui, et non pas seulement, comme on l’a fait, dans quelques phrases peu gracieuses de son Catilina.

À ce moment, tout semblait se tourner contre la mémoire du grand orateur. Quintilien nous le dit, dans une belle phrase : « Après qu’il eut été victime de la proscription des triumvirs, ses ennemis, ses envieux, ses rivaux, ceux aussi qui voulaient flatter le gouvernement nouveau, se jetèrent sur lui avec d’autant plus de violence qu’il ne pouvait plus leur répondre. » Les amis d’Antoine dénaturaient ses actions dans des pamphlets haineux ; Pollion, qui, la veille, se disait son élève, l’injuriait en plein Forum ; au Palatin, on se cachait pour lire ses ouvrages et