Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 26.djvu/258

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

honnêtes, la concorde régnait partout ; on ne connaissait pas la cupidité. On pratiquait la justice et l’honneur, non pour obéir aux lois, mais pour suivre sa nature. Les querelles, les inimitiés, les haines, on les gardait pour l’étranger ; les citoyens ne rivalisaient entre eux que de vertu. Pour honorer les dieux, ils dépensaient sans compter ; chez eux, ils vivaient avec économie ; ils étaient fidèles dans leurs amitiés. Deux qualités essentielles : le courage lorsqu’il fallait se battre, l’équité, quand la paix était faite, assuraient leur salut particulier et celui de l’Etat. »

À ce tableau d’un passé idéal s’oppose celui d’un fort triste présent. C’est un contraste parfait : le siècle de fer après l’âge d’or. Cette république, qui était la plus belle du monde, en est devenue la plus misérable et la plus corrompue, ex pulcherruma pessuma ac flagitiosissuma facta est. Pour démontrer qu’elle était alors en pleine décadence, ce qui n’est guère contestable, il s’appuie beaucoup plus sur des considérations morales que sur des raisonnemens politiques : on sait que c’est la tendance des historiens anciens. Nous sommes tentés aujourd’hui de la leur reprocher, mais les gens du XVIIe siècle leur en faisaient au contraire beaucoup d’éloges, et ils préféraient Salluste à tous les autres précisément parce que c’est celui où l’on retrouve le plus ces études de mœurs, ces peintures de caractères, ces leçons sur la conduite de la vie, ces réflexions piquantes qu’on peut appliquer à soi-même ou à ses voisins. Saint-Évremond se sent plus de goût pour lui que pour Tacite « parce qu’il donne autant au naturel que l’autre à la politique, et que c’est le talent le plus éminent d’un historien de connaître parfaitement les hommes. » C’est aussi l’opinion du président de Brosses qui trouve « que Tacite attribue les actions de ses personnages à des ressorts détournés ou à des vues imaginaires, tandis que Salluste, plus versé dans la connaissance du cœur humain, trouve dans le tempérament de chacun d’eux les principaux mobiles qui le font presque toujours agir. » Nous ne sommes plus du même sentiment aujourd’hui ; nous trouvons que Salluste nous aurait mieux instruits de l’état de la république à ce moment s’il avait tenu à se montrer historien autant que moraliste, et que ces deux qualités peuvent se joindre sans se nuire.

Pour Salluste, la corruption romaine se résume en deux mots : ambitio et avaritia, c’est-à-dire l’amour du pouvoir et l’amour de l’argent. « C’est de là, dit-il, que tout le mal est