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l’on n’osait pas prononcer son nom[1]. Sa royauté de grand écrivain elle-même paraissait menacée par cette école attique, qui l’avait tant inquiété et indigné pendant les dernières années de sa vie. Salluste se rattache à cette école, et, dans la mesure de son génie propre, il la continue. Son Catilina peut donc être regardé comme une sorte de manifeste littéraire contre Cicéron. Mais on a vu qu’au moins on n’y trouvait rien qui fût véritablement de nature à compromettre sa renommée de bon citoyen et le souvenir des services, qu’il avait rendus à son pays. Au milieu de ce déchaînement, cette modération relative dut être remarquée, et il me paraît sûr que le livre de Salluste, malgré toutes ses omissions et ses atténuations volontaires, a dû servir à ramener vers Cicéron l’opinion publique.


III

Au moment d’aborder son récit, et, après avoir dit quelques mots de Catilina, Salluste s’avise qu’il serait utile, pour mieux comprendre le personnage, de le placer dans son milieu, et s’interrompant assez brusquement, il nous présente un tableau de la société de cette époque.

Personne ne s’étonnera que ce tableau soit très noir : on a vu qu’après les mésaventures de sa vie politique, Salluste en voulait à peu près à tout le monde. La manière dont ce mécontentement s’exprime d’abord chez lui n’est pas non plus pour nous surprendre. Les Romains avaient une façon particulière de se plaindre du présent : elle consistait à célébrer le passé. L’éloge du bon vieux temps, auquel aucun d’eux ne s’est soustrait, était une des formes de leur mauvaise humeur. Cet éloge était très naturel sous la république, qui vivait des traditions antiques ; mais il semble que le gouvernement qui la renversa et la remplaça aurait dû être porté à juger le passé avec plus d’indépendance. Il n’en fut rien, et, avant même que ce gouvernement nouveau se fût définitivement installé au pouvoir, il avait pris les façons de parler de l’ancien. Salluste, ce Césarien de la veille, n’a pas de couleurs assez riantes pour dépeindre le bonheur dont jouissaient les Romains d’autrefois sous le régime qu’il a aidé le dictateur à détruire. « En ce temps-là, dit-il, les mœurs étaient

  1. Le nom de Cicéron ne se trouve ni dans Virgile, ni dans Horace.