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compagnons d’Ënée. Il comptait un héros parmi ses aïeux ; son arrière-grand-père, Sergius Silus, fut blessé vingt-trois fois pendant la guerre contre Annibal, et, ayant perdu son bras droit dans une bataille, se fit faire une main de fer et continua à combattre. Mais ni cette grande naissance, ni ces exploits ne profitèrent à cette branche des Sergii ; nous savons qu’elle resta pauvre et qu’aucun d’eux ne parvint dans la suite au consulat. Sans doute ils trouvaient qu’on les payait mal de leurs services, et il était naturel que leur pauvreté et l’oubli où on les laissait leur aigrît le cœur et les disposât à la révolte. Cependant ils n’avaient pas perdu leur rang dans l’aristocratie romaine. Catilina conservait des relations étroites avec les plus grands seigneurs. C’est à Lutatius Catulus, un des chefs du parti, que sa dernière lettre est adressée, et il le traite comme un ami familier. Au moment où ses affaires étaient le plus embarrassées, il avait une maison au Palatin, dans le quartier des nobles et des riches, et la nécessité de vivre avec tous ces grands personnages devait lui rendre sa situation plus pénible. Certaines paroles qui lui échappent dans les circonstances les plus graves de sa vie montrent qu’il avait gardé tout l’orgueil de sa naissance. C’est sur elle surtout qu’il s’appuie, quand il est accusé, pour attester son innocence, et il ne souffre pas que l’on compare un patricien comme lui à Cicéron, un citoyen de la veille, tout fraîchement débarqué de sa petite ville. Dans cette lettre à Catulus, dont je viens de parler, où il déclare qu’il a pris les armes parce qu’on lui a refusé ce qui lui était dû, il emploie ce mot de dignitas, cher aux aristocrates romains, et dont César, un autre grand seigneur révolté, se sert aussi dans une circonstance semblable[1]. La race, chez lui, se reconnaît partout : dans ses vices comme dans ses qualités, il n’y a rien de médiocre et de mesquin. « C’était, dit Salluste, un esprit vaste, qui méditait sans cesse des projets excessifs, incroyables, gigantesques. » Qu’il devait mépriser son rival Cicéron, qui lui semblait sans doute le type accompli de l’honnête bourgeois ! Il y avait de la crânerie dans ses violences ; il agissait volontiers au grand jour et il ne lui déplaisait pas de braver l’opinion. Peut-être ne lui a-t-on reproché tant de crimes que parce qu’il a dédaigné, par une sorte de forfanterie, de prendre la peine de s’en défendre.

  1. Sall., Cat., 38. Quod statum dignitatis non obtinebam. — César, Bell. civ. 1. 7. Discours à ses soldats : ut ejus existimationem dignitatemque defendant.