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Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 26.djvu/273

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lui-même, il jugea qu’il pouvait prétendre à la succession. La sinistre renommée que les proscriptions lui avaient faite ne devait guère le gêner, puisqu’il conçut l’espérance de devenir un jour le maître de la république. Il ne faut pas être dupe des mots. Sous le nom de dictateur, Sylla avait été un roi véritable : c’est Cicéron qui le dit[1] ; et Catilina aussi visait, comme Sylla, à la royauté[2]. Mais il s’agissait d’une royauté d’un genre particulier, qui évitait avec soin certaines apparences, qui se rattachait autant que possible Naux institutions républicaines, qui voulait maintenir tant bien que mal à côté d’elle les anciennes magistratures ; d’une royauté viagère, qui ne se fondait pas, comme les autres, sur l’hérédité. C’était déjà l’Empire qui s’annonçait et qu’on pouvait prévoir, car, dans l’histoire de Rome, tout se suit et se tient, rien ne se fait par brusques soubresauts, et les révolutions mêmes affectent des formes régulières et traditionnelles.

Mais on a vu qu’il n’était pas d’usage d’y arriver d’un coup, et bien que Catilina eût peu de répugnance pour les moyens révolutionnaires, il se soumit à prendre la longue route que tout le monde avait suivie, et qui, à travers quelques magistratures, menait lentement au consulat. Le chemin lui prit un certain nombre d’années pendant lesquelles nous le perdons de vue. Il dut faire alors ce qu’il a toujours fait, ce que faisaient la plupart des autres, se servir des fonctions qu’il remplissait dans l’intérêt de ses plaisirs et de sa fortune, vivre à Rome et dans les provinces au milieu des désordres, des débauches et des aventures de toute sorte.

En 686, il était préteur, et l’année suivante on l’envoya gouverner l’Afrique. C’était une province riche, et qui convenait à merveille à un propréteur qui avait sa fortune à faire ou à réparer. Catilina, comme on le pense bien, ne négligea pas de saisir cette bonne occasion, et même il en profita si bien que ses administrés, qu’il avait effrontément pillés, se décidèrent à porter plainte au Sénat de ses exactions. Il quitta la province en 688, et dut arriver à Rome vers le milieu de l’année. A ce moment, le désordre y était à son comble. Les élections consulaires pour l’année suivante avaient donné la majorité à P. Cornélius Sylla et à P. Autronius, deux personnages tout à fait décriés. Ce

  1. Cic, De harusp. resp., 25.
  2. Salluste, Cat., 5 : Dum sibi regnum pararet.