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cette prétention Macaulay, le jour suivant, prononça un discours dont on ne saurait assez méditer l’esprit politique[1].

« Monarchie et aristocratie, disait en substance Macaulay, ne sont pas une fin de gouvernement, mais simplement des moyens. Ce n’est donc pas par préjugé aristocratique, par superstition monarchique, qu’il y a lieu d’exprimer une crainte et une aversion à l’égard du suffrage universel : c’est parce qu’il est incompatible avec la propriété, c’est-à-dire incompatible avec la civilisation. Rien ne saurait empêcher la société de tomber dans la barbarie, si ceux-là ne sont pas protégés qui, par leur industrie, par leur épargne, créent l’avancement de la société. Grâce à l’institution de la propriété, le progrès peut se produire même avec un mauvais gouvernement ; car le plus mauvais gouvernement ne peut dépenser la richesse aussi vite que l’accroissent les classes qui dirigent la production, sous l’impulsion de la sécurité qui résulte pour elles de cette certitude que leurs droits acquis seront respectés.

« Ce serait donc folie de donner, par l’universalité du suffrage, le pouvoir à une classe qui ne respecte pas cette institution, et qui la considère comme le pire des monopoles, auquel elle attribue la misère du peuple.

« Gardons-nous de blâmer les foules plongées dans l’ignorance et la souffrance. Nous-mêmes, avec toute notre éducation, nous sommes très crédules, très impatiens, très bornés. Que faut-il donc attendre de ceux qui vivent dans la détresse, sous le poids d’un pénible labeur ? On les abuse en leur promettant l’impossible. L’ouvrier honnête qui ne demande que du travail est réduit au chômage : sa femme et ses enfans crient famine ; quoi de plus naturel qu’il attribue sa misère à ce fait que les uns ont trop et les autres trop peu ? Comment lui faire comprendre que sa détresse présente est un état de prospérité, comparée à la situation où il se trouverait après un seul mois d’anarchie et de pillage ? Assurément ce n’est pas sa faute s’il n’est pas instruit de la réalité des choses par un bon système d’éducation générale. Mais donnez-lui le droit de suffrage, il s’en servira pour sa ruine et pour la nôtre. Le suffrage universel a pour condition l’éducation politique universelle.

« Est-ce à dire que cela implique un sentiment de malveillance

  1. The People’s Charter, dans le recueil des Speeches.