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Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 26.djvu/494

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qu’il lui donne. Il a raison de penser que le talent de Cicéron, son esprit, sa belle humeur, les services qu’il a rendus à tant de personnes lui ont fait beaucoup d’amis, que la plus grande partie du peuple de Rome est bien disposée pour lui, que les électeurs des municipes italiens lui apporteront leur vote : tout cela paraît très vraisemblable. Mais ce qui l’est encore plus, c’est qu’il a dû principalement son succès à un concours de circonstances heureuses et imprévues, que le hasard lui donna de ces adversaires qui semblent créés tout exprès pour faire réussir leurs rivaux, et que, comme il arrive très souvent dans les élections, beaucoup de gens votèrent contre eux plus que pour lui.

Il avait en tout six concurrens : deux patriciens de race illustre, deux qui appartenaient à ces grandes familles plébéiennes qui formaient le second étage de la noblesse, deux enfin de moindre origine, mais dont les pères avaient obtenu des magistratures publiques ; Cicéron seul était, comme on l’a vu, un homme nouveau et un simple chevalier. Il semblait donc qu’il allait avoir affaire à très forte partie, mais, dès le début de la lutte, on s’aperçut bien que ces candidats qui portaient de si beaux noms n’étaient pas tous redoutables. La campagne électorale ne s’ouvrait réellement que l’année même où l’élection devait se faire, mais vers la fin de l’année précédente les escarmouches commençaient. Les candidats, qui voulaient se faire connaître et sonder l’opinion publique, profitaient de quelque circonstance qui réunissait la foule au Champ de Mars, et s’en allaient de rang en rang, serrant la main des électeurs, et, autant que possible, les saluant par leur nom. C’était ce qu’on appelait la prensatio, cérémonie qui nous paraît assez étrange, non pas que les candidats en aient perdu l’habitude, mais ils y mettent aujourd’hui moins de solennité, et, quand ils le font, ils aiment autant qu’on ne le voie pas. Alors, au contraire, ils se donnaient volontiers en spectacle. On allait regarder leurs attitudes, on observait leur assurance ou leur timidité, on commentait leurs gestes, et l’on formait des conjectures sur leur succès ou leur échec d’après la manière dont le peuple recevait leurs politesses. Après quelques semaines de cet exercice, tout le monde, à Rome, était convaincu que quatre des concurrens n’avaient aucune chance, et que trois seulement pouvaient espérer de réussir. C’étaient, avec Cicéron, Catilina et Antoine.

J’ai parlé de Catilina. Antoine était le fils de ce M. Antonius,