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femmes qui appartenaient au plus grand monde. Les détails qu’il nous donne à ce propos, avec une certaine complaisance, sont de nature à piquer notre curiosité ; mais surtout ils provoquent notre surprise, car nous avons toujours devant les yeux le type de la matrone romaine, tel qu’il se trouve chez les historiens et les moralistes. Je ne sais si ce type a jamais été bien exact, ceux qui nous le présentent étant fort suspects de trop vanter l’antiquité ; mais assurément, à l’époque où nous sommes, il avait tout à fait cessé de l’être. Le relâchement des mœurs publiques, l’habitude du divorce, la loi qui remettait à la femme la libre disposition de sa fortune personnelle pour qu’elle pût l’emporter quand elle quittait son mari, avaient entièrement corrompu la famille. Aussi Catilina n’avait-il pas eu de peine à trouver, dans la haute société, de grandes dames « qui, après avoir longtemps satisfait tous leurs caprices en puisant dans la bourse de leurs amans, quand l’âge avait rendu leurs profits plus légers, s’étaient vues réduites à contracter des dettes immenses. » Elles avaient donc, pour entrer dans la conjuration, le même motif que tant de gens sans ressources, qui cherchaient à liquider une situation embarrassée par un bouleversement général. Mais il est vraisemblable qu’elles y étaient attirées aussi par la séduction qu’exerçait sur leur sexe celui qui en était le chef, et dans la vie duquel les femmes avaient tenu tant de place. C’est ce qui est arrivé plus tard, dans le grand complot formé contre Néron, et qui fut si près de réussir. Tacite nous dit qu’il comprenait non seulement des sénateurs et des chevaliers, mais encore des femmes qui s’y étaient engagées moins en haine du prince que par leur inclination pour Pison, un mauvais sujet du grand monde.

La plus importante de ces femmes que Catilina entraîna dans sa conjuration paraît bien avoir été Sempronia, de la famille des Gracques, la mère de ce Decimus Brutus, qui fut l’ami, puis l’un des meurtriers de César. Salluste nous a fait d’elle un portrait composé, à sa manière, de petites phrases détachées, que je veux reproduire, quoiqu’il soit bien connu, à cause du jour qu’il jette sur la société de ce temps. « Sempronia, dit-il, a souvent commis des actions qui demandaient l’audace d’un homme. Elle avait reçu du sort la naissance et la beauté ; elle était heureuse en mari et en enfans. Instruite des lettres grecques et latines, elle savait la musique et la danse, plus qu’il n’est nécessaire à une femme honnête, et possédait encore d’autres talens,