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l’époque. L’affaire fut promptement bâclée ; la dispense nécessaire, pour cause de parenté, fut expédiée par l’archevêque de Lyon ; le 10 févriers 1711, le contrat fut signé dans le château d’Avauges, et la noce célébrée à Lyon quelques semaines plus tard[1].

Julie d’Albon avait seize ans quand eut lieu l’événement qui engageait sa destinée. Une peinture fort intéressante, que j’ai pu admirer dans le château d’Avauges, la représente plus âgée de quelques années : c’est une femme mince et svelte, aux traits fins, au visage ovale, avec des -cheveux châtain clair, des yeux noirs veloutés, languissans, qui semblent chargés de rêverie. Sans le nez un peu long, cet ensemble serait d’une beauté régulière ; mais le caractère dominant est un grand charme de douceur, une expression mélancolique, « touchante, » pour parler le langage du temps, comme résignée d’avance aux malheurs que l’avenir réservait encore en suspens. Les premières années du mariage furent cependant, sinon heureuses, du moins exemptes de catastrophes. La naissance de plusieurs enfans prouve en tous cas la vie commune. Ce fut d’abord une fille, Marie-Camille-Diane[2], née en 1716, deux autres filles encore qui moururent en bas âge, enfin en 1724, un fils, Camille-Alix-Éléonor-Marie[3], dont la venue au monde, longuement et impatiemment attendue, assurait la continuation de la race. C’est à dater de ce moment que les choses se gâtèrent, au point de provoquer la destruction du foyer conjugal et la séparation définitive des deux époux.

Sur les causes et les circonstances d’une telle résolution plane une obscurité qu’aucun effort ; n’a pu jusqu’à présent percer. Ce que l’on peut conjecturer avec toute ‘vraisemblance, c’est que l’homme eut les premiers torts et que ces torts furent graves. La preuve en est dans ce fait éloquent que la garde des deux enfans fut, dès le premier jour, confiée à la comtesse d’Albon, et que celle-ci, malgré ses écarts ultérieurs de conduite, les conserva près d’elle jusqu’à sa mort, sans qu’on trouve de la part du comte, — bien qu’à coup sûr il eût la-partie belle, — trace d’une protestation ou d’une réclamation quelconque. Il s’établit

  1. Archives d’Avauges. — Archives nationales, m. 259.
  2. Née le 4 décembre 1716, mariée en 1739 au comte Gaspard de Vichy.
  3. Né le 11 novembre 1724. Les deux filles mortes jeunes vinrent au monde le 6 janvier 1719 et le 21 décembre 1721.