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Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 26.djvu/543

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qu’attirait, ainsi qu’un mirage, l’inconnu de la vie, elle suivrait le vœu de sa mère, elle ensevelirait sa jeunesse sous le linceul épais du cloître. Camille d’Albon, son frère aîné, « sur l’amitié duquel elle comptait beaucoup et qui l’avait toujours traitée comme sa propre sœur[1], » ne lui refuserait pas ses conseils, son appui, au besoin même sa bourse, pour compléter, s’il était nécessaire, sa dot de religieuse. Ce dessein une fois arrêté, elle s’occupa de le réaliser. Elle écrivit au comte d’Albon pour l’informer de « sa résolution inébranlable, » et faire appel à son fraternel dévouement.

C’est sur ces entrefaites et parmi ces préparatifs, qu’un beau jour une nouvelle venue, débarquant à Champrond, renversa d’un revers de main ce bel échafaudage, et, saisissant le gouvernail de cette barque désemparée, l’entraîna vers les mers aux larges horizons, mais semées de récifs et peuplées de tempêtes. Peut-être est-il superflu d’ajouter que cette nouvelle venue s’appelait la marquise du Deffand.


V

Des femmes du XVIIIe siècle, il en est peu de plus célèbres, et qui méritent autant de l’être, que Mme du Deffand ; mais ce que l’on connaît surtout, c’est la vieille amie de Walpole et de la duchesse de Choiseul, l’étincelante diseuse de bons mots, l’épistolière dont certaines lettres peuvent soutenir la comparaison avec Mme de Sévigné. Sur sa jeunesse, sur la formation de son esprit, sur ses relations familiales, sur toute son existence intime, flotte un certain brouillard, qu’elle semble avoir pris soin de ne pas éclaircir. C’est cependant sous cet aspect qu’il est intéressant pour nous d’évoquer sa figure, avant de préciser son rôle dans une histoire où elle tient tant de place. Je résumerai ce qui ressort des consciencieux travaux de mes prédécesseurs et de mes recherches personnelles. Marie de Vichy, sœur cadette de Gaspard, était née à Champrond[2]le 25 décembre 4697. Elle fut amenée dès l’enfance à Paris et mise chez les Bénédictines de la Madeleine du Traisnel[3], où s’écoula toute sa première

  1. Lettre de Mme du Deffand du 30 mars 1734.
  2. Notons toutefois que la bibliographie Feller place à Auxerre le lieu de sa naissance, je ne sais d’après quelles données.
  3. Rue de Charonne, à Paris.