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propos pour accroître son bien et la mettre en état de vivre plus à l’aise. Elle quitta donc la rue de Beaune, pour fixer ses pénates dans ce couvent de Saint-Joseph, illustré avant elle par la marquise de Montespan, et dont elle allait rajeunir la gloire. J’aurai prochainement l’occasion de revenir sur cette demeure, que partagea dix ans Julie de Lespinasse et qui fut le berceau de sa célébrité.

L’installation à Saint-Joseph eut lieu au mois d’avril 1747 ; la marquise du Deffand approchait de la cinquantaine ; elle avait reconquis sa place dans l’opinion ; après la galanterie, elle avait goûté de l’amour, sans guère y trouver plus de charme ; le moment lui parut venu d’essayer d’une troisième méthode et de s’en tenir désormais aux joies de l’amitié. Sa résolution prise, elle la réalisa de façon nette et prompte, comme c’était sa coutume, et elle en fit part au public par un complet changement de vie : « Je me suis mise tout à fait dans la réforme, annonce-t-elle à Formont ; j’ai renoncé aux spectacles, je vais à la grand’messe de ma paroisse. Quant au rouge et au président, je ne leur ferai pas l’honneur de les quitter. » Entendons par ces derniers mots qu’elle conserve sans doute Hénault parmi les habitués de son nouveau logis, mais dans le rang, sans privilège, et sur un pied d’égalité avec les autres commensaux. L’ère des aventures est passée ; sans mari, sans enfans, libre de tout devoir, la marquise du Deffand n’a plus d’autre souci en tête que de se préparer une vieillesse agréable et douce, au milieu d’un cercle d’amis ; et c’est à dater de ce jour que se dessine définitivement la figure qu’elle va garder aux yeux de la postérité.

Ce plan savamment combiné faillit pourtant sombrer dans une crise imprévue. C’est, en effet, bien peu après la « réforme » opérée que la marquise eut la première révélation du grand malheur suspendu sur sa tête, l’un des plus accablans qui puisse frapper une créature humaine. Elle s’aperçut un jour que sa vue s’altérait ; le progrès continu du mal la remplit de trouble et d’effroi ; le spectre de la cécité se dressa devant elle, chaque jour plus rapproché, chaque jour plus menaçant. Ce fut alors une lutte désespérée contre un ennemi insaisissable : la Faculté reconnue impuissante, elle fit le tour de tous les empiriques, de tous les charlatans, nombreux à cette époque ; chacun d’eux vanta son remède, promit la guéri son et chacun échoua à son