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tour. Si le miracle ne vint pas, au moins tira-t-elle de ces soins une prolongation d’espérance, et ce n’est pas un médiocre bienfait. « Lorsqu’elle eut épuisé vainement tous les remèdes, prétend Mme de Genlis, elle prit facilement son parti sur son état ; elle y était parfaitement accoutumée[1]. »

L’affirmation est sans doute excessive ; la résignation, si elle vint par la suite, ne fut point si complète, ni surtout si rapide. Bien que, dans les lettres de cette époque, elle ne parle jamais de la crainte qui l’obsède, on la sent inquiète, angoissée. Après quatre ans d’efforts sans résultat, l’année 1752 la trouva fort découragée, sans grande illusion sur son sort. Elle se résout enfin, dans sa correspondance et dans ses entretiens, à aborder le pénible sujet et à faire part à ses amis de la catastrophe qu’elle redoute. Les consolations qu’elle reçoit sont peu faites, avouons-le, pour la relever de sa détresse : « Vous dites que vous êtes aveugle. Ne croyez-vous pas que nous étions autrefois, vous et moi, de petits esprits rebelles, qui furent condamnés aux ténèbres ? Ce qui doit vous consoler, c’est que ceux qui voient clair ne sont pas pour cela lumineux[2]. » A Montesquieu revient l’honneur de ce médiocre badinage. Voltaire, qui lui succède, n’est guère plus compatissant. Il est vrai qu’il envoie d’abord quelques condoléances : « Mes yeux ont été un peu humides, en lisant ce qui est arrivé aux vôtres. J’avais jugé, d’après la lettre de M. de Formont, que vous étiez entre chien et loup, et non pas dans la nuit ; mais, si vous avez perdu la vue, je vous plains infiniment. » Mais, en répondant à Formont, il plaisante agréablement sur ces yeux, morts maintenant, qui firent jadis tant de victimes : « Pourquoi faut-il que l’on soit puni par où l’on a péché ? Et quelle rage la nature a-t-elle de gâter ses plus beaux ouvrages ? Du moins, Mme du Deffand conserve son esprit, qui est encore plus beau que ses yeux. »

S’étonnera-t-on, que devant la sécheresse de ceux qui s’appellent ses amis, cette pauvre âme affolée se soit tournée vers un autre port de refuge et qu’elle ait fait appel à de plus actifs dévouemens ? Il ne faut pas chercher d’autres motifs à sa résolution soudaine de quitter, au moins pour un temps, le séjour de Paris, son logis et son entourage, et de chercher auprès des siens, dans le calme apaisant des champs et des grands bois,

  1. Mémoires de Mme de Genlis.
  2. 13 septembre 1752.