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femmes frivoles qui se plaisent à faire naître un sentiment qu’elles ne partagent pas, et repoussent avec une insouciante légèreté des désirs qu’elles ont elles-mêmes encouragés[1]. L’amant déçu ressentit de cette aventure un vif chagrin, et ce chagrin, joint au dégoût du genre de vie auquel il se voyait astreint, le jeta dans une sombre mélancolie dont il ne fut tiré que par l’arrivée de l’abbé Jean, son frère, à Saint-Malo.

Jean-Marie, l’aîné des enfans de l’armateur breton, avait témoigné de bonne heure un irrésistible attrait pour l’état ecclésiastique. Pendant les pires années de la Révolution, il avait appris le latin, comme il avait pu, en fréquentant dans les landes la retraite des prêtres insermentés. Dès que le calme fut rétabli, il se rendit à Paris, et, après des études théologiques assez sommaires, — l’époque n’en permettait pas d’autres, — il entra dans les ordres. Héritier des fortes qualités de sa race, doué d’une santé robuste, d’un esprit net et positif, l’abbé Jean était né pour l’action. Quoiqu’il eût du goût et des aptitudes pour les travaux littéraires, il n’en eût pas fait volontiers l’occupation principale de sa vie. Les œuvres extérieures l’attiraient ; et il s’est montré propre à les conduire avec autant de prudence que de fermeté. Sa très réelle bonté se dérobait souvent sous une certaine brusquerie ; et sa vertu ne triomphait pas toujours de la violence de son tempérament.

Féli était au contraire indécis et changeant. N’ayant eu de commerce qu’avec les livres, très peu avec les hommes, il n’avait acquis aucune expérience. Autant il se montrait jaloux de l’indépendance de sa pensée, autant il faisait paraître d’insouciance quant à la direction et à l’emploi de sa propre vie.

On pouvait donc aisément prévoir que le jour où les deux frères se trouveraient rapprochés, l’aîné prendrait l’ascendant. Ce fut ce qui arriva. Le plus jeune céda bientôt au besoin de confier à une âme plus forte que la sienne ses ennuis, ses tristesses, et ses incertitudes. Du rôle de confident, l’abbé Jean passa bientôt à celui de conseiller, et même, si l’on en croit certains biographes, il devint quelque chose de plus[2]. Ce qui n’est pas douteux, c’est qu’il sut triompher de la longue indifférence de son frère et le décider à faire sa première communion. C’était

  1. M. Peigné, Lamennais. Sa vie intime à la Chesnaie.
  2. L’abbé Laveille, l’excellent auteur de la Vie de Jean-Marie de la Mennais, laisse entendre que celui-ci fut le confesseur de son frère.