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assurément une belle victoire, mais qui ne devait donner tous ses fruits qu’autant qu’on réussirait à arracher le nouveau converti à l’existence désœuvrée et stérile qu’il avait menée jusqu’à ce jour. L’abbé Jean ne s’y trompa point ; et comme l’affection fraternelle se confondait chez lui avec un ardent esprit de prosélytisme, peut-être, pour mieux assurer sa conquête, songea-t-il, dès ce moment, à l’attacher à l’Église par des liens plus étroits. Ce qui ferait croire à la réalité d’un tel dessein, c’est qu’il se prêta à son exécution, et ne s’arrêta que lorsque, déconcerté lui-même par une résistance imprévue, il jugea imprudent de le pousser plus loin.


II


Trois années environ s’étaient écoulées depuis la conversion de Lamennais, quand il vint avec l’abbé Jean s’établir au collège de Saint-Malo, en qualité de professeur de mathématiques. L’intervalle de ces trois années avait été rempli par un assez long séjour à la Chesnaie et par un voyage à Paris. Les deux frères passèrent dans la capitale une grande partie de l’année 1807, et pendant ce temps, ils fréquentaient assidûment Saint-Sulpice. De cette époque date leur liaison avec deux jeunes ecclésiastiques, l’abbé Bruté de Sémur et l’abbé Teysseyrre, qui, animés d’un zèle plus ardent que sage, unirent leurs efforts pour incliner vers le sacerdoce la volonté toujours incertaine du frère de l’abbé Jean. Ces efforts n’obtinrent pas un résultat immédiat ; ils eurent néanmoins sur l’imagination plutôt que sur l’esprit de Lamennais une influence dont il convient de tenir compte. Au contact d’une si dévote compagnie, son âme, naturellement portée à l’exaltation, commença à s’empreindre d’un mysticisme religieux qui ne contribua pas peu à abuser ses imprudens conseillers, et à l’abuser lui-même.

Une active correspondance, après qu’il eut quitté Paris, le suivit au collège de Saint-Malo, excitant, quand il aurait fallu les modérer, les élans d’une piété expressive à l’excès. De ce que ses propres lettres étaient remplies des plus brûlantes effusions de l’amour divin, on se hâtait de conclure que l’appel d’en haut le désignait clairement pour le service de l’autel, et que tarder plus longtemps à y répondre, ce serait résister à la volonté de Dieu.