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cherchait à donner un but à sa vie, et à se créer une position. Les propositions ne lui manquèrent pas. Un de ses parens lui offrit son concours pour relever la maison de commerce de Saint-Malo. D’autres lui parlèrent d’une place d’interprète au ministère des Affaires étrangères, ou de commis à la Grande-Aumônerie. Rien de tout cela ne lui plaisait. Quelques articles publiés dans l’Ami de la Religion et du Roi, le succès d’un pamphlet dirigé contre l’Université impériale avaient éveillé en lui le goût du journalisme. Mais ni dans le recueil de M. Picot, ni dans le Mercure que M. de Bonald songeait alors à ressusciter il n’espérait trouver assez d’indépendance, car, disait-il assez irrévérencieusement, « les Jacobins ecclésiastiques veulent que la presse soit libre, mais pour eux seuls. »

L’idée lui vint de fonder un journal. Déjà très en avance sur son temps, il prévoyait le rôle prépondérant que la presse allait prendre dans la direction de l’opinion publique. C’est pourquoi il aurait voulu créer un grand journal quotidien, indépendant des partis politiques et dont il aurait fait l’organe d’un apostolat nouveau, l’instrument d’une renaissance catholique.

Malheureusement ce beau projet ne put aboutir, faute de capitaux ; et, au commencement de l’année 1815, Lamennais reprenait le chemin de la Bretagne, sans avoir réussi à faire avancer d’un pas la solution du décevant problème de sa vocation.


IV


C’est en Angleterre que cette vocation, discutée depuis dix ans, devait enfin être décidée, en quelques semaines. Lamennais s’était si fortement attaché à l’abbé Carron qu’il ne pouvait plus se faire à l’idée d’une séparation. « Il m’aime comme un fils, écrivait-il ; je l’aime comme un père, comme un ami, comme l’instrument des desseins de Dieu sur moi. Mon sort désormais est lié au sien ; je ne l’abandonnerai jamais, à moins que lui-même ne me montre loin de lui le lieu où Dieu m’appelle[1]. »

La raison, comme on ne manquera pas de l’observer, avait peu de part dans la nouvelle orientation des pensées et des vœux de celui qui, par un étrange contraste, s’est montré le plus

  1. A. Blaize, Lettre du 10 avril 1815.