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Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 26.djvu/694

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sévère et minutieuse, l’instinct d’indépendance qui était le fond même de son être, se fût réveillé en lui avec une telle violence, qu’échappant à toutes les remontrances de ses conseillers, il se serait enfui à la Chesnaie, pour y retrouver, avec la paix sereine des champs, ce à quoi il tenait le plus au monde : ses livres et sa liberté. Cette fois encore, bien mal à propos, l’abbé Carron intervint pour le garder dans sa maison[1] ; et nul retard n’étant plus plausible, les choses se hâtèrent vers leur dénouement.

Le 23 décembre, quelques semaines seulement après son retour d’Angleterre, Lamennais était ordonné sous-diacre. Écrivant à son frère le lendemain de l’ordination, il lui disait : « Je revins hier de Saint-Sulpice, après avoir reçu le sous-diaconat. Cette démarche m’a prodigieusement coûté. Dieu veuille en retirer sa gloire[2] ! »

On s’explique qu’un jeune séminariste, au moment de contracter un engagement qui implique de si graves conséquences, soit en proie à des incertitudes et à des craintes semblables à celles que Lamennais avait si vivement ressenties. Mais le pas franchi, l’engagement contracté, aux agitations de la veille doivent succéder la satisfaction et la paix qui accompagnent d’ordinaire tout acte viril généreusement accompli. Pour le nouveau sous-diacre, il en fut tout autrement. Dès ce jour, une tristesse mortelle s’empara de lui, avec une effroyable lassitude et un amer dégoût de toutes choses. Loin de s’alarmer d’un pareil état, l’abbé Teysseyrre en triomphait. Son jugement faussé par un excès de mysticisme n’y voyait qu’une faveur extraordinaire accordée à l’élu de Dieu, tout au plus une épreuve passagère, et comme une dernière préparation aux délices du pur amour. « Votre frère, écrivait-il à l’abbé Jean, a reçu le sous-diaconat en victime. C’est encore en victime qu’il va recevoir le diaconat et le sacerdoce[3]. » Cette fois, l’enthousiaste sulpicien n’avait que trop raison. Mais « la victime » eut, paraît-il, au moment du sacrifice, comme une suprême convulsion. « Féli, racontait l’abbé Jean, a été fait diacre à Saint-Brieuc dans la première semaine du carême ; et il a été ordonné prêtre à Vannes quinze jours après. Il lui en

  1. Renan se montrait donc mal informé en insistant, comme il l’a fait, sur l’influence du Séminaire dans la formation intellectuelle de l’illustre écrivain.
  2. A. Blaize, Lettre du 24 décembre 1815.
  3. A. Roussel.