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Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 26.djvu/693

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flammes, qu’il ne pourra jamais résister aux sollicitations amoureuses du meilleur comme du plus grand de tous les maîtres. Oui, qu’il vienne ; et nous lui préparerons des chaînes d’amour, mais si belles, si légères, si glorieuses, qu’elles seules lui feront goûter la liberté, la paix, la joie des enfans de Dieu et des ministres du Seigneur[1]. »

Ce n’était pas d’un homme écrivant sur ce ton et de ce style que Lamennais pouvait recevoir les conseils de prudence dont il aurait eu si grand besoin. À la voix de l’abbé Teysseyrre venait s’ajouter, à travers l’Océan, celle de M. Bruté, devenu missionnaire en Amérique. L’accent en est encore plus singulier : « Féli, Féli est-il revenu ? est-il, sera-t-il bientôt prêtre ? Hésite-t-il encore ? Se pourrait-il ? Notre doux Sauveur a-t-il trop d’amis, trop de prêtres en ce temps-ci[2] ? »

De telles excitations étaient d’autant plus dangereuses pour celui qui en était l’objet qu’elles émanaient d’hommes dont le caractère et la vertu lui inspiraient plus de confiance et de respect. Elles triomphèrent des dernières indécisions de Lamennais qui, écrivant à sa sœur, lui disait : « Ce n’est pas certainement mon goût que j’ai écouté en me décidant à reprendre l’état ecclésiastique ; mais il faut tenter de mettre à profit cette vie si courte[3]. »

C’est donc à une inspiration d’en haut qu’il croyait obéir en marchant au but que, d’un accord unanime, on lui désignait. Du jour où il s’était laissé persuader que la volonté divine exigeait de lui le sacrifice de ses inclinations et de ses goûts, il avait en quelque sorte bandé contre lui-même toute son énergie, et, imposant silence aux suprêmes protestations de sa nature, il tendait docilement les mains pour recevoir « ces chaînes d’amour » dont l’abbé Teysseyrre parlait si bien. Celui-ci cependant lui donna, dans une heure de clairvoyance, un conseil qui, s’il eût été suivi, eût épargné à son disciple et à lui-même une irréparable erreur. Il l’engagea à entrer au séminaire. On peut considérer comme probable que, rendu à lui-même, et moins pressé par des influences extérieures, Lamennais se fût ressaisi, lorsqu’il en était temps encore. Dans le silence et l’isolement d’une étroite cellule, sous la contrainte d’une règle

  1. A. Roussel, Lamennais, d’après des documens inédits.
  2. A. Roussel, ibid.
  3. A. Blaize, Lettre du 14 décembre 1815.