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Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 26.djvu/81

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au moment où la voix du rabbin, qui s’entendait à peine, ne s’entend plus, tous ces gens éclatent en hurlemens et en vociférations. Ils passent du brouhaba au charivari. Et je confesse que cette façon de louer Dieu m’a profondément étonné.

Mais la scène prit bientôt à mes yeux une sorte d’intérêt dramatique. Ce n’était pas une simple assemblée de fidèles qui fourmillait dans cette masure : c’était une armée en marche. Ce prêtre, encapuchonné d’un voile brillant, la tête en arrière, la barbe presque horizontale, drapé de blanc comme l’Arabe dans son burnous, avait l’air, tout immobile qu’il fût, de marcher à la conquête d’une terre promise. Derrière lui, la foule arrêtée un instant, pour établir ses comptes et supputer ses gains, repartait sur des clameurs de guerre.

Les vieillards de la tribu, ceux qui gardent la longue lévite et qui portent encore les boucles de cheveux ondulées tombant jusqu’au menton, occupaient une autre synagogue, toute petite, rayon née de casiers en bois blanc et d’in-folio déchiquetés Ils ne criaient ni ne chantaient ; mais, penchés sur une table où s’étalait leur barbe grise, ces docteurs de la cabale feuilletaient des grimoires que les rats avaient rongés et semblaient y déchiffrer les destinées de leur peuple.

Toutes ces synagogues avaient l’air de baraquemens dressés à la hâte ; et le soleil et le vaste silence faisaient autour d’elles l’immensité du désert.

Des huit mille habitans de Neamtsu, environ trois mille cinq cents sont israélites : assez faible proportion pour une ville moldave. Je ne sais encore s’ils sont persécutés, mais j’affirme qu’on ne les réduit pas à prier dans des catacombes.

Pendant que le vacarme continuait, nous allâmes visiter l’hôpital. C’est le seul monument de la ville, et elle le doit aux religieux d’un grand monastère du voisinage. — « Avez-vous du cœur au ventre ? me dit le médecin, un de ces médecins à la forte carrure qui ne marchandent pas aux malades le cordial de leur belle humeur. Voulez-vous m’accompagner dans ma visite ? Vous y verrez en raccourci toutes les misères de nos campagnes. » — Je le suivis. L’hôpital ne dispose que de cinquante lits. Sur cent malheureux qui s’y présentent, on en prend deux ou trois. Ces élus sont souvent des désespérés. Ils viennent y mourir de l’infection qui grandit dans leurs villages et que leur apporta l’invasion des armées étrangères. Mais ce qui me remplit d’hor-