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enfant, comme les premiers vers d’un de nos grands poètes, sont d’un adolescent, et d’un adolescent heureux. Les musiciens d’Autriche ont nommé le second (Op. 18, n° 2) le quatuor « des complimens, » d’un nom qui ne lui sied pas mal, en exprimant bien la grâce facile, les dehors aimables et presque mondains. L’adagio du quatuor en fa, le premier paru, mais par l’époque de la composition le troisième (Op. 18, n° 1) porte déjà le sceau d’un plus sérieux et plus sombre destin. Sur les pages du sixième quatuor où Beethoven écrivit ce mot : la Malinconia, voici que s’allongent les ombres. La tristesse approche, et même la souffrance. Mais pour les éloigner, il suffit encore à la jeunesse du maître de nouer autour d’une valse allemande la guirlande légère de ses danses et de ses chants.

Bientôt, contre des assauts plus rudes, Beethoven ira chercher des recours plus héroïques, de plus secrets et plus sacrés asiles. Tantôt il se réfugiera dans le mouvement et dans l’acte, dans la révolte, la lutte et la fureur, dans l’âpre ironie et dans je ne sais quel humour farouche ; tantôt ce sera dans l’abîme intérieur, inviolable, de la pensée pure, de la méditation et de la prière. C’est ainsi que ses adagios et ses allegros seront les chefs-d’œuvre égaux et contraires de la passion et de la patience, de la joie et de la douleur, de l’angoisse ou du désespoir et de la paix ou de la foi. Mais la patience, l’allégresse, la paix, finiront par être les plus fortes. Beethoven est le demi-dieu dont Nietzsche a parlé, « qui parvient à vivre dans des conditions effroyables, et à en vivre vainqueur. » Au terme de chacune de ses œuvres, ou d’un cycle de ses œuvres, ou de son œuvre tout entière, le souvenir, je ne dis pas unique, mais le plus grand et le dernier qui nous reste, c’est le souvenir de sa victoire.

Beethoven enfin n’est pas seul dans ses quatuors, bien qu’il y soit tout entier. Personnelle et lyrique au plus haut degré, sa musique est autre chose encore ; avant tout et plus que tout intérieure, il n’est pas rare qu’elle s’échappe au dehors et s’y répande. Musique de chambre, dit-on, et cela est bien dit ; quelquefois aussi musique d’église, par la gravité, par la sainteté même ; ailleurs, par la verve et la libre joie, musique de rue, pleine de sérénades et de chansons ; musique populaire, témoin les thèmes, russes introduits dans l’Op. 59, témoin surtout le finale éblouissant, alla Zingara, du treizième quatuor, ce morceau qui dut, sur la demande de l’éditeur, remplacer la fameuse fugue, déclarée impossible, et que Beethoven écrivit sur son lit de mort. La nature même a sa part dans les seize chefs-d’œuvre et des éclairs comparables à ceux de la symphonie Pastorale sillonnent le