Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 26.djvu/926

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

s’était jamais exprimé par les sons. Évoquez le souvenir de tant de pages intimes, intenses aussi, et vous reconnaîtrez que la mélodie de Beethoven, sublime quand elle s’épanche, ne l’est pas moins lorsqu’elle se rassemble et se concentre.

Un autre signe encore, et nouveau, paraît en elle. De plus en plus elle se multiplie et devient partout présente. Wagner a fait, dans Opéra et Drame, une remarque très juste, et dont la seconde partie s’applique surtout à la dernière manière de Beethoven. Tandis que Mozart, observe-t-il, travaille en quelque sorte sur des mélodies entières, qu’il partage et qu’il rompt, Beethoven au contraire prend des fragmens épars, les plus menus, les plus indifférens en apparence, et, sous nos yeux, il en construit ses plus grandioses architectures. Tout est bon, tout suffit à la mélodie de Beethoven pour être mélodie. Il ne lui faut parfois qu’une seule note, et la première venue, incessamment répétée suivant un rythme persistant (scherzo du quatuor Op. 59, n° 1). Que dis-je ! même en se taisant elle-chante encore, et dans les premières mesures du quatuor suivant (Op. 59, n° 2), comme ailleurs dans une des trente-trois variations pour piano sur un thème de Diabelli, je sais des mesures ou des demi-mesures muettes et pourtant mélodiques, en un mot (qui est de Hans de Bulow), des « silences parlans. »

Enfin, tandis que, dans les premiers quatuors, la mélodie ne demandait encore aux autres parties que de l’accompagner, elle veut, dans les derniers, qu’avec elle et comme elle tout chante. Tout chante alors, et l’un quelconque des derniers quatuors de Beethoven pourrait se définir une quadruple mélodie, une polyphonie, serrée et libre, non pas de notes, mais de chants. Mélodie infinie, le mot, que vous attendiez et qui s’impose, ne date que de Wagner ; mais la chose, ou plutôt les choses qu’il signifie : l’accroissement dans tous les sens de la pensée musicale, l’entrée dans le concert mélodique et chantant de tous les élémens et de tous les facteurs, de la moindre parcelle et du dernier atome sonore, tout cela fut déjà le suprême effort de Beethoven et le dernier effet de son génie.

De son âme enfin, de son âme héroïque, la série des quatuors, aussi bien que celle des sonates, peut-être mieux que celle des symphonies, nous découvre le progrès et l’ascension constante. Les quatuors de Beethoven le conduisent et nous mènent avec lui par la nuit à la lumière, à la joie par la douleur, par le combat à la victoire. Son œuvre, ainsi que sa vie, n’a pas d’autre sens et d’autre but, elle ne suit pas d’autre chemin. Les tout premiers quatuors, sans être d’un