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confusions, de la thèse adoptée par l’Allemagne à l’appui de sa politique.

Cette thèse est que la France porterait atteinte au Maroc au principe de la porte ouverte, principe qui doit être également cher à toutes les puissances et dont l’Allemagne s’est faite le hardi champion. Il semble bien, d’après les dépêches arrivées d’Amérique, que le gouvernement allemand ait cherché à faire prévaloir sa thèse jusqu’à Washington. Si elle était fondée, il est bien sûr que le gouvernement des États-Unis et même la plupart des autres se rangeraient autour du fanion allemand. Toutes les puissances commerçantes ont intérêt au maintien du principe de la porte ouverte, au Maroc et ailleurs : mais en quoi se trouve-t-il compromis par nos arrangemens ? En vérité, il serait surprenant qu’ils le fussent, puisque le plus important de ces arrangemens, et celui que l’on connaît le mieux, a été conclu avec l’Angleterre, c’est-à-dire avec la plus grande puissance commerçante du monde, celle qui a toujours été, du moins jusqu’à ce jour, la plus libérale en matière économique. Quel que soit l’intérêt commercial que l’Allemagne puisse avoir un jour au Maroc, intérêt qui actuellement est encore très faible, il ne saurait primer celui de l’Angleterre, et il est à croire que celle-ci n’a pas sacrifié le sien. Dans notre arrangement avec elle, il est formellement stipulé que ce qu’on appelle le principe de la porte ouverte sera respecté au Maroc. Toutes les nations seront mises, commercialement parlant, sur le pied de l’égalité : il n’y aura pas de droits différentiels au profit des unes et au détriment des autres. Mais, nous l’avouons, la garantie que la France et l’Angleterre se sont donnée mutuellement a une limite dans la durée : elle ne dépasse pas trente ans. Après trente ans, la France n’aura plus d’engagement spécial à respecter, alors que le Maroc pourrait en avoir encore par le fait des capitulations et de ses traités. Trente ans ! Il a paru à Londres que c’était un laps de temps considérable et que, lorsqu’on avait étendu jusque-là sa prévision, on avait fait tout ce qui appartient à la sagesse humaine. Est-ce sur ce point que l’Allemagne entend faire porter ses objections et ses réserves ? Nous ne saurions le dire, car elle-même ne l’a pas dit : elle s’est contentée de proclamer le principe de la porte ouverte et de déclarer qu’elle n’y laisserait pas porter atteinte. L’Allemagne est encore une puissance coloniale trop jeune pour que nous sachions quel régime douanier elle établira définitivement dans ses colonies. Étroitement protectionniste en Europe, il est douteux qu’elle soit le contraire ailleurs. Hors de chez elle, elle défend la liberté, c’est fort bien : mais nous ne lui en avons pas donné le prétexte au Maroc, et il importe qu’on le sache