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cultive, trafique, brocante, s’enrichit ; sa fortune s’enfle à la surface de la terre, y crève et n’y fait, hélas ! qu’une tache de sang. Le Juif est un des plus extraordinaires fermens de l’humanité. Là où il s’établit, le sol même entre en effervescence. Que sera la Modalvie dans cinquante ans, dans un siècle, dans deux siècles ? Il faut jeter un taled sur la face de l’avenir ! Le Roumain ne périt pas, dit le proverbe : le Juif non plus. Deux races d’hommes, après des souffrances et des persécutions sans nombre, se rencontrent sur les champs de foire moldaves. Pourquoi ce spectacle m’éprouve-t-il jusqu’à l’angoisse ?

v. — dans les labours

Huit heures de chemin de fer, quatre heures de voiture, et nous touchons au nord de la Moldavie. Nous sommes entrés dans le grand désert des labours, et nous vivons au milieu de ce désert, en pleine oasis. Faut-il choisir entre les trésors d’un roi d’Asie et trois mille hectares de glèbe bien noire et bien luisante ? J’opte pour la terre. Toute destinée me paraît médiocre, qui n’enfonce pas dans la graisse des sillons. Notre hôte, M. Vasesco, ancien élève de Fontainebleau, officier démissionnaire et député, s’est consacré à l’agriculture. Il nous a reçus, comme des amis au milieu de ses amis, dans sa belle vieille maison roumaine si spacieuse, où sa mère et ses filles donnent à l’hospitalité moldave une grâce inoubliable. Je suis émerveillé de son parc, de ses vergers, de ses jardins, de la solitude qui enclôt cette île de feuillage, — et plus encore du bien qu’il fait autour de lui. Quand le propriétaire roumain consent à résider sur ses terres, surtout quand il a l’intelligence et la libéralité de M. Vasesco, il ramène aux villages de ses paysans la verdure et l’amour de la vie. Pénétrez sous le chaume des maisonnettes de Cotusca, de ces maisonnettes dont les murs de torchis à la teinte bleuâtre sourient dans le fouillis des maïs : la ménagère y suspend aux poutres du plafond des bouquets de feuilles odorantes.

Ce pays dégage un charme puissant. Si loin que s’étendent les regards, et pendant des lieues et des lieues, ce ne sont que des mamelons et d’immenses ondulations sans arbre et sans ombre. La terre n’égare pas une parcelle de sa sève en beautés inutiles. Sa tâche est de pousser du blé, du maïs, de l’orge, toutes les céréales : elle accomplit sa tâche avec une sorte d’ivresse con-