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Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 27.djvu/119

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les mains duquel une tasse de fabrication française était tombée, reconnut la supériorité de notre émail plus résistant que celui des produits anglais. Cet Américain, dont les fils rivalisent aujourd’hui à la tête de deux de nos plus importantes manufactures, — les maisons Charles et Théodore Haviland, — traversa l’Atlantique, — c’était un voyage en 1839 — pour s’entendre avec les porcelainiers de notre pays. Une fois à Paris, il eut quelque peine à apprendre que la tasse qu’il avait vue venait de Limoges et, une fois à Limoges, au lieu d’y trouver une organisation prête à répondre à ses demandes, il se vit en présence d’une dizaine de petites « fabriques » que l’on nommerait aujourd’hui des « ateliers. »

Celles-ci ne faisaient alors que le « blanc » et travaillaient exclusivement pour le compte de grands marchands parisiens, propriétaires des modèles, qui les faisaient décorer sur place suivant les ordres de leurs clientèles par des artistes en chambre. Parmi ces « chambrelans, » — c’était leur nom, — se distinguaient Schœlcher, père du futur député de la troisième République, et Boucot, qui joignait à sa profession de dessinateur et graveur « au bruni, » où il était passé maître, celle de danseur à l’Opéra en 1845. Ils peignaient sur commande, suivant la mode de l’époque, l’apothéose d’Anacréon, l’enterrement d’Atala ou des portraits officiels au fond des assiettes à potage et, sur les saladiers ou les saucières, ils représentaient des ‘marines exaspérées, des vues de châteaux et des chevaliers armés de pied en cap.

C’était le temps où les faïences interprétaient les fastes de l’histoire militaire, sociale ou politique ; où Fleur-de-Marie, le Chourineur et tous les héros des Mystères de Paris, des Trois Mousquetaires et des chansons de Béranger, alternaient avec le maréchal Bugeaud et Abd-el-Kader, le tout aggravé de légendes belliqueuses ou attendries. Lorsque, parvenu à l’apogée, incapable d’aller plus loin, le mauvais goût déclina et que commença la renaissance céramique, vers le milieu du second Empire, avec Avisseau et les frères Deck, la peinture sur porcelaine fut sérieusement atteinte par la découverte de la chromolithographie.

Des dîners du « pique-nique » chez Th. Deck, où les convives, plus tard illustres, comme Bartholdi ou Harpignies, étaient tenus, non seulement d’apporter leur plat, mais surtout de le