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Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 27.djvu/189

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attaques consécutives étaient tout espoir d’un rétablissement. Il avait alors traîné misérablement, mais jusqu’au bout, il ne cessait pas de parler de « sa chère forêt. » Cloué sur son lit, déjà en proie au délire et sentant la mort prochaine, il disait le 20 décembre à Sensier : « Il va y avoir une nouvelle crise ; puis viendra la Grande-Harmonie ! » À la suite d’une dernière attaque, il mourait le 22 décembre, entre les bras de ses amis, Tillot et Millet. La douleur de celui-ci fut extrême ; il restait « consterné et abîmé. C’était un brave ami, écrivait-il, et une haute intelligence. Quel grand espace vide se fait autour de nous ! » Rousseau était enterré dans le petit cimetière de Chailly, où sept ans après, par un jour d’hiver (24 janvier 1875), Millet devait le rejoindre. Depuis, un modeste monument leur a été élevé à la sortie de Barbison, et Chapu, l’éminent sculpteur, qui les avait connus tous deux, a rapproché sur la même plaque de bronze les images fraternellement accouplées des deux amis, au seuil même de cette forêt qu’ils avaient tant aimée.

Avec le temps, dans les nombreuses études dont les deux artistes ont été et sont encore fréquemment l’objet, leurs, noms continuent à être inséparables, et leur gloire n’a pas cessé de grandir, celle de Millet surtout, comme si, pour être plus tardive à lui venir, elle devait, après sa mort, le venger des rigueurs qui avaient accablé sa vie. Au déclin de la sienne, Rousseau avait déjà connu la célébrité. Mais pourquoi ne pas le dire ? Il semble qu’en ces dernières années, l’éclat de sa réputation se soit un peu amoindri. Quelques restrictions se glissent parmi les éloges, qu’il méritera toujours d’inspirer, et l’inégalité de ses œuvres explique ces fluctuations dans les jugemens qu’on en porte. Tandis que quelques-unes d’entre elles, faites plus facilement et comme d’un premier jet, ont conservé leur transparence et leur spontanéité, la plupart, trop souvent remaniées, ont beaucoup noirci. Alors que, par une réaction inévitable, la peinture claire et facile tendait de plus en plus à prévaloir, leur opacité et leur exécution trop appuyée devaient nécessairement les déprécier.

Ces œuvres d’ailleurs sont restées éparses, disséminées dans les collections particulières, non seulement en France et dans les pays voisins, mais surtout en Amérique. On ne les a guère vues qu’isolées, dans les ventes où elles apparaissaient successivement. A l’inverse de ce qui est arrivé pour Corot et Millet, elles n’ont jamais été réunies dans des expositions spéciales faites en