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Abandonner Esquimalt, n’était-ce pas renoncer à toute action dans l’Océan Pacifique ? Aurions-nous donc, dit le 7 mars dernier, aux Communes, le terrible M. Gibson Bowles, conclu un arrangement avec les Etats-Unis ?

Les anciens du Parlement rappelèrent des réductions analogues, opérées par M. Childers au temps de M. Gladstone, et qui avaient porté à l’efficacité des forces navales britanniques une atteinte dont elles n’avaient pu se remettre qu’après un grand nombre d’années. Quelle folie que cette diminution volontaire des réserves de combustible, d’approvisionnemens et de munitions, c’est-à-dire de l’énergie potentielle de la flotte dans les mers lointaines !

Diverses explications furent données par les défenseurs de la politique de l’Amirauté. Elles ne parurent point convaincantes, étant trop contraires aux idées acquises. L’une d’elles, assez plausible, fut que la guerre navale en Extrême-Orient venait de démontrer l’inutilité, le danger même ou le grand inconvénient de la multiplicité des bases navales subsidiaires, objet de dépenses continuelles en temps de paix, entraves en temps de guerre pour une flotte dont tous les mouvemens doivent être complètement libres. Ces bases navales permanentes seront remplacées avec profit par l’installation en temps de guerre de bases volantes comme celles que les Japonais ont organisées pour le blocus de Port-Arthur. Ces raisons étaient peu démonstratives. Mais on eut, le 22 mars dernier, de lord Selborne lui-même, dans la Chambre des lords, une justification des mesures adoptées pour les Indes Occidentales.

« La vraie cause, dit-il, est que la situation navale, dans ces parages, a été complètement « révolutionnée. » Un changement s’est produit, un des plus merveilleux dans l’histoire moderne, l’essor de la marine américaine. A l’époque où la commission de lord Carnarvon sur les stations de charbon préconisait la multiplicité des bases navales en Amérique, cette marine des États-Unis avait une histoire glorieuse, mais elle était faible en nombre de navires et en nombre d’hommes. Elle a pris en quelques années un développement prodigieux. Déjà une flotte magnifique est en service, et il y a en chantier ou en achèvement treize cuirassés et six croiseurs cuirassés[1]. Le budget de la

  1. De ces bâtimens, cinq cuirassés de 14 600 tonnes,, deux cuirassés de 16 000 tonnes, deux croiseurs cuirassés de 13400 tonnes, un croiseur cuirassé de 14 500 tonnes, ensemble dix unités de combat de premier rang et du plus fort tonnage, ont été lancés dans le cours de l’année 1904. Le temps qui s’est écoulé pour ces dix bâtimens entre la mise en chantier et le lancement a varié entre dix-huit et trente mois.