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REVUE DRAMATIQUE


COMEDIE-FRANÇAISE : Le Duel, pièce en trois actes, par M. Henri Lavedan. — VAUDEVILLE : L’Armature, pièce en cinq actes tirée du roman de M. Paul Hervieu, par M. Eugène Brieux.


Était-il possible, en plein vingtième siècle, de mettre à la scène une pièce qui, à la manière des moralités de notre ancien théâtre, ne serait qu’un dialogue entre l’esprit et la chair, le ciel et l’enfer, Dieu et Satan ? Dans cette pièce qui emprunterait sa substance à la morale religieuse et qui ne tirerait son action que du progrès d’une analyse de plus en plus aiguë, pourrait-on introduire tous les élémens du drame, un intérêt humain, des êtres vivans pour ou contre qui nous prendrions parti ? La tentative était pour déconcerter les plus audacieux ; d’autant qu’il ne suffisait pas de la mener honorablement à bonne fin : il fallait y réussir avec éclat, y triompher de haute lutte. C’est ce que vient de faire M. Henri Lavedan. Sa nouvelle comédie est une des plus originales et des plus hardies que nous eussions entendues depuis bien longtemps. Elle forme une espèce de contraste violent avec les platitudes où se traîne si souvent le théâtre d’aujourd’hui. Elle nous transporte, d’une poussée vigoureuse, dans la région des belles discussions, de la philosophie et de l’éloquence, sans rien abandonner des exigences de la scène. L’auteur du Prince d’Aurec et du Marquis de Priola ne nous avait encore rien donné qui lui fit tant d’honneur.

Le « duel » auquel on va nous faire assister est celui de l’idéal chrétien contre l’idéal païen. La morale chrétienne n’envisage que le devoir, celui qui s’impose à tous, absolument, sans concessions et sans compromis, et ne tient compte ni des révoltes ni des souffrances de l’individu. Ou, pour mieux dire, ces révoltes, elle ne les ignore pas, ces souffrances, elle ne refuse pas de les prendre en pitié, mais elle les