Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 27.djvu/214

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

avant même que l’adversaire ait eu le temps de lire dans les journaux la déclaration de guerre. » En Allemagne les journaux fulminèrent de nouveau. N’est-ce pas l’un d’eux qui exprima le regret qu’on ne fût plus au temps où un lord civil de l’Amirauté, ayant parlé comme l’avait fait M. Lee, aurait été invité par le premier ministre à donner sa démission, avant même qu’il eût eu le temps de lire dans les journaux des commentaires sur son discours ?

Il fallut que le gouvernement anglais infligeât une sorte de désaveu à l’intempérant orateur d’Eastleigh, et l’on eut enfin une version officielle des déclarations qui avaient déchaîné ce petit orage international : « La flotte britannique est maintenant, au point de vue stratégique, prête pour toute éventualité, car nous devons supposer que toutes les puissances navales sont pour nous des adversaires possibles. Par suite du développement des nouvelles puissances maritimes, nous avons malheureusement plus d’ennemis possibles qu’autrefois, et nous devons regarder anxieusement, non seulement du côté de la Méditerranée et de l’Atlantique, mais aussi du côté de la mer du Nord. » Ce qui ressort avec netteté de cet incident, c’est que, dans l’esprit des Anglais en général, et dans celui de M. Lee en particulier, la pensée du fameux exploit accompli dans la rade de Port-Arthur par les torpilleurs japonais, au cours de la nuit du 7 au 8 février 1904, agit avec la puissance d’une obsession, d’une hantise obstinée, d’une sorte de suggestion hypnotique. Il ne suffit plus d’être prêt pour la guerre. Il faut être en mesure de porter le premier coup, et un premier coup d’une telle force, que le destin de toute la guerre en soit fixé.


AUGUSTE MOIREAU.