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Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 27.djvu/220

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l’unique rosaire qu’elle doive égrener, ce sont les dix petits doigts d’un enfant. Donc, elle va [porter un deuil décent, après quoi elle épousera le docteur Morey : c’est l’abbé Daniel lui-même qui lui en donne le conseil et qui lui prescrit ainsi son devoir. Souhaitons que ce devoir ne soit pas une pénitence et que cette pénitence ne soit pas trop rude ! Que cette jeune veuve épouse le rébarbatif aliéniste, puisqu’il n’y a pas moyen qu’elle fasse autrement ! Et peut-être, après tout, le bonheur apprivoisera-t-il cet ours.

J’ai signalé au passage les imperfections du Duel. La plus grave réside dans le rôle de Morey. Nous aurions voulu que la balance fût tenue plus égale entre l’avocat de Dieu et l’avocat du diable. Et puisque, à la fin, l’aînée devait être récompensé, nous aurions aimé qu’on nous le montrât moins indigne d’une récompense d’ailleurs si charmante. Les événemens paraissent trop arrangés, trop combinés ; et il faut bien que ce soit l’avis de M. Lavedan, puisqu’il fait dire par un de ses acteurs que les choses n’auraient pu se passer ainsi sans une intervention de la Providence et s’il n’y avait du miracle dans l’affaire. Disons encore que les personnages de M. Lavedan parlent très bien, mais qu’ils s’écoutent parler, et que si la pièce est très bien écrite, on s’en aperçoit un peu trop. Ces réserves faites, il reste que le Duel est une pièce d’un rare mérite. Elle tranche heureusement-sur la production courante de notre théâtre. Elle entre dans le vif des préoccupations d’aujourd’hui, tout en remuant des questions qui sont de tous les temps. Et, après l’avoir entendue, on sait gré à l’auteur qui nous a fait goûter avec tant de vivacité un plaisir d’une qualité si relevée.

L’interprétation du Duel a été un triomphe pour M. Le Bargy et pour M. Paul Mounet. M. Le Bargy a dessiné avec une justesse et une finesse de trait des plus remarquables la figure, si difficile à mettre à la scène, de l’abbé Daniel. Et non seulement il nous a fait deviner ce travail intérieur qui donne au rôle un grand intérêt psychologique, mais il a eu, à certains momens, des accens d’une largeur, d’une puissance et d’une simplicité qui sont le dernier mot de l’art. Cette création restera au nombre de ses plus belles, si même elle n’est jusqu’à présent la plus complète que nous lui devions.

M. Paul Mounet a été excellent de bonhomie et de dignité. Il n’a pas mis une fausse note dans ce rôle, où il nous a plus d’une fois fait sourire, et qui est comme l’heureuse détente de la pièce.

Mme Bartet, la duchesse de Chailles, avait un rôle bien décevant et qu’elle n’a dû aborder qu’avec tremblement. Elle s’en est tirée à son