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Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 27.djvu/221

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grand honneur, et nous a fait une fois de plus admirer l’intelligence, la souplesse et l’incomparable distinction de son jeu.

Quant à M. Duflos, je crains qu’il ne soit, pour une bonne part coupable de la fâcheuse impression que nous a faite le personnage de Morey. Il est continûment raide, dur, maussade. Déchaîné dès les premières scènes, il traverse toute la pièce en proie à une sombre fureur et à une agitation forcenée.


Nos lecteurs ont sans doute trop présent à l’esprit le beau roman publié ici même par M. Paul Hervieu, l’Armature, pour qu’il y ait lieu de leur en rappeler le sujet. L’auteur s’était proposé de montrer comment l’argent est « l’armature » de notre société], et il avait exécuté son dessein avec cette âpreté qui est la marque de son talent. L’aventure, dans ce qu’elle avait d’essentiel, était celle d’une femme qui trompe son mari, par amour conjugal. Pour sauver de la ruine et de la misère ce mari trop aimé, Mme d’Exireuil se donnait au financier Saffre. C’est cette aventure que M. Brieux a mise en scène dans la pièce qu’il a tirée du roman de M. Hervieu et que joue en ce moment le Vaudeville. Le drame atteint toute son intensité au quatrième acte, lorsque d’Exireuil fait avouer à sa femme la faute qu’elle a commise par une aberration si particulière de l’esprit de sacrifice. La toile tombe sur ce mot que Mme d’Exireuil jette à son mari déjà prêt à sortir pour aller trouver le baron Saffre : « Tue-le ! » Mais il aura beau courir, d’Exireuil n’ira pas si vite que la destinée. Le baron Saffre, qui a fait de mauvaises affaires, est frappé d’apoplexie, et comme nous avons assisté, pendant une bonne partie du dernier acte, à son agonie, quand d’Exireuil arrive, nous savons bien qu’il est trop tard : le mari outragé ne pourra tirer de son offenseur une juste vengeance : il faudra qu’il reste avec son déshonneur.

Mlle Cerny a été dans le rôle de Mme d’Exireuil aussi émouvante que la situation le comportait. M. Grand a été terrible, comme toujours. M. Chelles est un baron Saffre beaucoup trop paterne.


RENE DOUMIC