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d’étoffes tissées à Venise, avec des fils du Levant, de Smyrne ou d’Alep. Mais ce n’est qu’au XVIIe siècle que le coton entre ordinairement dans l’histoire industrielle de l’Occident ; au XVIIIe, qu’il commence à y prendre une place de jour en jour plus grande, à y jouer un rôle de jour en jour plus bienfaisant. En 1700, fut essayé pour la première fois, à Rouen, l’emploi au tissage du coton brut importé d’Amérique ; en 1756, un Suisse, du nom de Gronus, crée au Puy une manufacture royale de cotonnades avec, successivement, treize, quarante et soixante-quatre métiers ; en 1759, Oberkampf va fonder à Jouy, près de Versailles, sa célèbre fabrique de toiles peintes ou indiennes. La noblesse et le clergé s’en mêlent : la duchesse de Choiseul-Gouffier s’intéresse à la filature d’Heilly ; le curé d’Auxy-le-Château n’épargne ni soins ni dépenses pour introduire dans son village l’aride travailler le coton. Le roi approuve et encourage par des gratifications, des pensions, des avances. L’autorité n’entrave pas, excite et soutient. Comme résultat de tous ces efforts, comme fruit de toutes ces bonnes volontés, la France importe, en 1786, 11 millions de livres, et, en 1789, 33 millions de livres de coton, qu’elle transforme en fils et en tissus. Des manufactures de velours de coton s’élèvent à Rouen, à Dieppe, à Bolbec, à Yvetot, à Louviers, à Evreux, à Vernon, à Amiens ; des manufactures d’indiennes, à Jouy, à Lille, à Saint-Denis, en Lorraine, en Bourgogne ; des filatures à Rouen, à Coutances, à Ronfleur. La bonneterie de coton fait battre ou tourner ; 15 000 métiers[1]. Pauvres métiers, et pauvres manufactures, au prix de nos mécaniques perfectionnées et de nos usines géantes, mais où des troupes d’hommes et de femmes, peu nombreuses au prix de nos foules ouvrières, vivent d’une vie misérable et lourde que nos syndicats ne supporteraient plus, — mais enfin trouvent de quoi vivre, au moins de quoi ne pas mourir.

C’est, d’autre part, une bonne fortune que, presque dès le début de la grande industrie textile et sans interruption jusqu’à présent, du docteur Villermé à Frédéric Le Play et à Jules Simon, en passant par Louis Reybaud et Audiganne, les ouvriers qui filent ou qui tissent le coton n’aient cessé d’éveiller la sollicitude des économistes et des moralistes, des philosophes et des philanthropes. Mais, en même temps, de leur côté, les patrons

  1. D’après M. Jules Moudoy, ouv. cité.