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Ni dans la filature, ni dans le tissage, cette peine n’est particulièrement dure[1]. S’il y a fatigue, et il y en a partout où il y travail, elle vient du caractère fastidieux et machinal de l’ouvrage, beaucoup plus que de la dépense musculaire qu’il exige. C’est le sort commun, non seulement de toute industrie textile, mais de toute industrie quelle qu’elle soit, depuis que la machine est souveraine et conduit l’ouvrier. Car il m’est arrivé de dire et de répéter qu’avec elle, l’ouvrier n’est plus, ou qu’il est moins, un producteur qu’un conducteur de force, mais ce n’était pas encore assez dire ; en même temps qu’il conduit la force, en même temps il est conduit par elle ; et elle se fait payer par lui le service qu’elle lui rend, en substituant une fatigue à une autre et la monotonie du geste à l’énergie de l’effort ; de lui à elle, et d’elle à lui, il y a échange et remplacement ; et il la fait chaque jour un peu plus homme, mais elle le fait chaque jour un peu plus machine. Même à effort égal, — et l’effort est moindre, — dix heures pèsent cependant moins que douze, et les ouvriers le constatent et s’en félicitent, avec une pointe de malice : « Maintenant, disait un ouvrier après l’application de la loi, nous voici comme des employés de préfecture ! »

En outre, le repos du dimanche est religieusement, ou rigoureusement observé. Tout au plus, et par mesure exceptionnelle, emploie-t-on parfois ce jour-là quelques ouvriers spéciaux à des travaux urgens de nettoyage ou de réparation, qu’on ne peut exécuter en semaine, tant que les machines marchent. Ce repos du dimanche est-il, au surplus, toujours un repos ? Les hommes vont au cabaret, et peut-être y vont-ils un peu trop ; mais, dans ce pays de grandes forêts et d’eaux courantes, ils ne négligent pas tout à fait des exercices plus sains. Ils jouent volontiers aux quilles, font de longues promenades, ramassent du bois mort pour leur foyer, pochent à la ligne, et, qui sait ? se livrent, si l’occasion les tente, à un innocent et peu destructif braconnage. Les femmes rangent le logis, soignent les hardes, bavardent entre elles. Le soir, beaucoup de filles vont danser dans les bals publics.

  1. Les fileurs et les rattacheurs des métiers self acting, astreints à suivre le continuel mouvement de va-et-vient du chariot, sont peut-être ceux qui ont à fournir la plus grande somme d’efforts physiques ; mais c’est, parait-il, affaire d’entraînement, et d’entraînement assez facile. Notons aussi, d’une part, que ces ouvriers sont les plus remuâtes ; d’autre part ; qu’ils sont les mieux payés.