Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 27.djvu/404

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Donne-moi de tes nouvelles de suite [Solange était malade de son côté], car les lettres ne vont pas vite par ici, sous le couvert de M. Gustave Boulanger, à l’Académie de France, à Rome. Mille belles révérences du graveur [Manceau]. — Embrasse pour moi Mme d’Oribeau, et remercie-la de son bon souvenir. — Je ne sais pas du tout s’il faut affranchir. Je t’envoie mes lettres par le Préfet de police.


Quelques jours après, elle était à la Spezzia. Nouvelle lettre, non moins piquante que la précédente, et qui évoque, après cinquante années, une Italie bien différente de celle d’aujourd’hui. Cette lettre, écrite au crayon sur un chiffon de papier, a dû être griffonnée en plein air.


Ma chère mignonne, je t’écris perchée sur une montagne au fond du golfe de la Spezzia. C’est un endroit tranquille et délicieux, un climat très doux et un terrain très praticable pour la promenade. Car nous sommes venus ici hier par une journée de pluie battante. Nous avons passé, en bateau, un torrent dont le lit a une demi-lieue de largeur, et qu’avant-hier on passait en voiture sur les cailloux. Aujourd’hui nous voilà à travers champs, passant les ravins et grimpant partout à pied sec. Je suis assise par terre sur un sable chaud tout rempli de fleurs ; encore des bruyères blanches, des orchys superbes aussi, dont je ne sais pas les noms. La vie est à très bon marché, sauf le vin, qui est gâté dans presque toute l’Italie, depuis quelques années. Ainsi je pense que tout le monde avait raison de me dire que c’est ici qu’il fallait s’arrêter pour trouver du repos, pas de froid, de la propreté et de la promenade. J’ajoute que les gens du pays paraissent charmans, qu’ils vous disent tous un bonjour amical et pas servile, en passant, et qu’ils ne vous demandent pas l’aumône, chose dont on est stupéfié en sortant des autres provinces de l’Italie où, sur cent personnes que l’on rencontre, quatre-vingt-dix-huit vous poursuivent avec une obstination inouïe. Cette mendicité hideuse est un fléau qui vous gâte les plus beaux endroits.

Donc, si je reviens faire une saison l’année prochaine, c’est là probablement que je me fixerai ; et, si on te conseille un voyage de santé, ne te lance jamais dans les États du Pape, où l’on manque de tout et où le climat est dur comme le reste. Mous avons passé trois jours à Florence. C’est aussi un agréable séjour pour qui aime les villes. C’est même aussi peu ville que possible pour qui aime la campagne. Il y a tant de belles choses à voir que nous [nous] y sommes éreintés. Mais pour ceux qui y restent et qui prennent leur temps, ce doit être délicieux. La ville est belle en certains endroits, propre partout, et civilisée complètement. À Rome on ne trouve pas une paire de pantoufles. C’est à la lettre.

Lambert a dû te donner de nos nouvelles, il y a quelques jours : je l’en avais chargé. Ceci est notre bulletin pour une huitaine. Alors nous serons à Gênes et en retour pour Paris, soit que nous prenions le Mont-Cenis, soit que nous reprenions la mer, ce qui est le plus économique parce que c’est le plus prompt.

J’espère avoir demain de tes nouvelles par M. Parodi à qui je viens