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Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 27.djvu/405

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d’écrire de m’expédier mon courrier. Je t’embrasse de cœur ainsi que ton frère. Manceau t’envoie tous ses hommages. Je te quitte. Le temps se couvre un peu, et il faut que je retrouve mes chasseurs de papillons[1], disparus à travers les myrtes et les éricas. Lesdites bruyères blanches embaument et ont quinze et vingt pieds de haut. Je voudrais t’en porter une. Adieu, tâche d’avoir de bonnes nouvelles à me donner de toi. Moi, je vais sensiblement mieux. J’ai tant forcé mon poumon à grimper, que je crois qu’il s’est beaucoup amélioré. Il faudrait pouvoir rester encore deux ou trois mois à ne rien faire que courir et dormir. Mais c’est impossible, et je crains fort que mon bourreau M. Plon[2] ne crie déjà après moi. Encore bonsoir, car en rentrant je t’achève cette page. (Fin avril ou début de mai 1855)[3].


Il serait intéressant de suivre ainsi George Sand dans tout son voyage, et de cueillir toutes fraîches les impressions qu’elle mettra au compte de Jean Valreg dans la Daniella[4], en les accommodant au caractère de son personnage. Malheureusement, ses autres lettres d’Italie, s’il y en eut, ne nous ont pas été conservées. Dès le début de juin, George Sand était rentrée à Nohant. Un énorme arriéré de besogne l’y attendait. Diversion salutaire, qui combattit l’assaut redoutable des souvenirs :


Oui, j’ai le cœur gros ici, mais il faut bien que je m’y fasse. Je suis écrasée d’un travail forcé qui m’est peut-être bon dans la circonstance… Bonsoir, ma toquée. Je me replonge dans l’encrier. (6 juin.)


Maurice était à Guillery, chez son père. Solange avait pu, entre temps, accomplir son voyage en Belgique ; elle n’en avait pas rapporté de la gaité. Sa santé était comme son humeur, très inégale ; et elle la traitait encore plus inégalement. Elle méditait des fugues de diverses sortes, cherchant à sortir de Paris pour sortir d’elle-même. « Viens à Nohant, lui écrit sa mère (9 juin), c’est ici que tu reposerais le mieux. » Mais le repos tout plat, ce n’est pas ce que cherche sa fille. Il faut qu’on s’occupe d’elle, qu’on l’excite, qu’on l’entraîne ; sinon elle souffre, se plaint d’être

  1. Maurice et Manceau. Maurice était un entomologiste très distingué. Il préluda à ses études sur les papillons par Deux jours dans le monde des papillons, essai pour lequel sa mère écrivit une préface, publiée dans la Revue de Paris, le 15 février 1855. Plus tard, après de longues recherches et des voyages en Afrique et en Amérique, il publia, en 1860, le Monde des Papillons, bel ouvrage illustré qui fait autant d’honneur à son talent d’artiste qu’à son savoir et à son goût.
  2. Plon éditait alors l’Histoire de ma vie.
  3. La lettre porte, sur la feuille de garde : « Mille millions d’amitiés de la part des facteurs de poste aux lettres. Victor Borie, E. Lambert. »
  4. La Daniella parut dans la Presse, à partir du 6 janvier 1857.