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d’emblée, au foyer de Nohant et dans le cœur de la mère de Maurice, la place d’une fille. Trois enfans lui étaient nés coup sur coup : un petit garçon, Marc-Antoine, mort avant l’âge d’un an ; et deux fillettes, Aurore et Gabrielle, — Lolo et Titite, — dont l’adorable enfance illuminait Nohant. George Sand réalisait son rêve : elle redevenait grand’mère. Elle s’exerçait maintenant à écrire ses romans, — qui vont incliner aux contes merveilleux, et pour cause, — avec un baby perché derrière son épaule, et un autre à califourchon sur son genou. Sa correspondance en deviendra plus brève ; elle aura ce je ne sais quoi de planant, d’adouci et de lointain des esprits supérieurs qui sourient à l’éternité toute proche et qui se laissent délicieusement vieillir.

Solange, elle, a vu mourir sa grand’mère paternelle, Mme Dudevant mère, et son père. Elle a réalisé, ainsi que son frère, l’héritage de Guillery. Elle a tenu un salon à Paris. Il lui agrée maintenant de se bâtir un home original, sur un coin de la Côte d’azur, non loin de ce Tamaris célébré par sa mère, et à portée du bon Charles Poncy, si dévoué aux Sand, et d’ailleurs si entendu aux choses de bâtiment. C’est sur les environs de Cannes qu’elle jette son dévolu. Elle y achète, au bon moment, des terrains capables d’une très forte et très prochaine plus-value. Elle met les ouvriers au lopin où s’édifiera la villa Malgrétout, joli nom, et d’un choix si ingénieux : hommage filial, et crâne devise. Tout en calculant, achetant, projetant, elle noircit du papier, et non pas seulement avec des chiffres. Le goût d’écrire l’a ressaisie.

Quand la correspondance reprend, nous voyons qu’elle vient de terminer en brouillon son premier roman, Jacques Bruneau, et qu’elle a soumis ce brouillon à sa mère (été de 1869).

Qu’est-ce que Jacques Bruneau[1] ? Une « nouvelle, » d’ailleurs intéressante, ingénieusement étirée jusqu’aux dimensions d’un roman. La réalité avait fourni la donnée première. Celle-ci se compose de trois épisodes ou « faits-divers. » Un fait d’armes en Afrique, la poursuite et la mort du chef arabe Si-Embarek ; un duel retentissant, et un suicide dans des conditions bizarres et cruelles. Jacques Bruneau a réellement existé. Dans les Souvenirs d’Afrique de M. de Castellane, il s’appelle le capitaine Siquot. Solange suppose que le vainqueur de Si-Embarek, vrai

  1. Paru en feuilleton dans la Presse au mois de décembre 1869, et en volume chez Michel Lévy au printemps de 1870.