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troupier d’Afrique, un Alceste sabreur et hypocondriaque, enrichi subitement par un héritage, tombe à Paris dans un club à la mode. Un de ses compagnons de plaisir le présente à la fille d’une cantatrice célèbre. Cette femme est d’abord froide, puis coquette. Jacques Bruneau s’en éprend follement, prétend s’imposer, se faire aimer bon gré mal gré ; vrai sanglier lâché dans un salon, il multiplie les incartades, se fait de nouveau haïr, puis estimer, puis rechercher, enfin aimer. Mais, ombrageux et jaloux jusqu’à la frénésie, il s’avise subitement, sur des apparences d’ailleurs trompeuses, qu’il est joué, et que son frère est du complot : et il se fait sauter la cervelle, presque en présence de son frère mandé par lui pour assister à ce sauvage dénouement. Histoire assez truculente, un peu heurtée de couleurs et assez incertaine de dessin, mais contée avec une verve rapide, et dont certaines pages, tantôt gracieuses et tantôt narquoises, révèlent un talent prime-sautier.

L’ensemble était donc distingué. Mais à combien de petits cailloux s’achoppait la débutante ! Elle pouvait avoir le talent de son art ; elle n’en possédait ni le métier, ni la grammaire. George Sand lui montre patiemment l’un et l’autre. Page à page, elle relève les incertitudes, souligne les fautes, passe le coup de lime, esquisse une théorie. Elle se révèle admirable pédagogue à son tour, comme tout à l’heure Sainte-Beuve ; et, par surcroît, elle nous apprend quelque chose sur son art à elle-même, tant il est vrai que le plus admirable instinct serait insuffisant, si la réflexion ne l’approfondissait, si l’art ne le fécondait. Retenons quelques-unes de ses observations.

Après avoir remarqué, page 2, qu’on ne dit pas en proie à une résolution, parce qu’une résolution est le contraire d’une anxiété ; — p. 43, qu’on n’écrit pas des candeurs qui viennent se briser contre ; — que, p. 63, opérer une fin n’est d’aucune langue ; — que, p. 137, avoir l’air d’une houri est risible : « Quel air ont les houris ? qui les a vues ? » etc., elle ajoute, p. 142 : « Vraiment, l’héroïne est odieuse. »


Ta volonté a été certainement de porter tout l’intérêt sur Jacques ; ce n’est pourtant pas une raison pour que la Tasca (la femme dont Bruneau est amoureux) soit une carogne accomplie. C’est d’autant plus choquant qu’elle raconte elle-même, et sans s’expliquer suffisamment sur les causes de son caprice. Elle semble même vouloir imposer son atroce caractère comme une chose toute simple. Ce n’est pas une artiste fantasque, ce n’est pas du