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Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 27.djvu/435

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s’attachât même à ses gens. Dans l’amitié, qui pour elle était un sentiment extrême, elle était indomptable. Elle avait des dévouemens violens, têtus comme des passions malheureuses. Au fond, elle était toute passion, mais passion de tête. Une romantique forcenée, doublée d’une mondaine du second Empire, et compliquée d’une Berrichonne impénitente, formaient chez elle un amalgame de haut goût. L’impossibilité de réaliser l’unité logique de son moi, en fit, de tout temps, une nature à part, et une femme malheureuse. Elle n’acheva pas plus son caractère qu’elle n’achevait ses romans ; sa vie fut une succession d’essais ; et le plus beau en était toujours la préface. Trop « lionne » pour être uniquement écrivain ; trop écrivain pour n’être que « lionne ; » trop coquette pour se prendre à l’amour ; trop femme pour ne pas le regretter ; trop fille de George Sand et trop esprit supérieur pour ne pas mépriser sa vie mondaine et soi-même par-dessus le marché, souvent abusée mais jamais dupe, Solange devait traîner jusqu’à la fin son incurable ennui, approfondi et envenimé d’un deuil inconsolable. Un berceau vide, cette pensée l’accompagnait partout ; un serpent lui mordait le cœur à toutes les heures. Vouée au spleen par une sorte d’hérédité, elle songea plus d’une fois au suicide, et même un jour elle faillit le réaliser. Elle essaya de croire ; là, comme ailleurs, elle n’alla probablement pas jusqu’au bout. En tout cas, quelle que fût sa religion, elle dut avoir, comme sa mère, foi en la réunion finale. Et cela put relativement la soutenir. Il lui fut doux de penser qu’elle retrouverait ailleurs l’enfant perdue. Sur la croix de marbre blanc dont sa tombe, comme celle de Jeanne, devait se parer très simplement, elle voulut que l’on gravât le signe de sa souffrance[1]. C’est la « mère de Jeanne, » dont elle a voulu qu’on se souvînt dans le petit cimetière de Nohant. Et, certes, nul ne contestera à Solange Clésinger le titre de mère très malheureuse. Toutefois, grâce à des lettres précieuses, que sa piété a justement conservées, nous savons aujourd’hui qu’il faut ajouter à ce titre celui de fille très aimante et très aimée de George Sand.


SAMUEL ROCHEBLAVE.

  1. « Gabrielle-Solange Clésinger, née Dudevant-Sand, mère de Jeanne, née à Nohant le 13 septembre 1828, morte à Paris le 17 mars 1899. »