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pouvait prendre les choses plus simplement, s’il pouvait être plus lui-même, s’il pouvait concevoir que les hommes ne valent que par les choses et les circonstances, s’il pouvait s’accoutumer à ne voir que la vérité vraie et non la vérité faite ou inventée, il ferait un grand pas vers le repos. Mais il est dans sa nature : il n’y a rien à dire. » Il eût été d’avis que Chateaubriand se retirât de la scène politique et trouvât dans son talent d’écrivain une retraite assurée, un asile inviolable. Et c’est en effet le parti qu’on eût souhaité de lui voir prendre.

De même encore, lorsque eut lieu dans les relations de Mme Récamier et de Chateaubriand le grand déchirement de 1823, Ballanche ne douta pas que tôt ou tard un rapprochement ne dût se produire. Et quand il apprit que ses prévisions en effet se réalisaient, il se contenta d’indiquer d’un mot qu’il ne s’y était pas trompé, réservant tout son effort pour qualifier en termes vraiment admirables l’influence que la tendre compassion de Mme Récamier pouvait désormais exercer sur cette âme lassée, en la réconciliant avec le sentiment moral. « Je me doutais bien que vos ressentimens ne tiendraient pas ; il y a des choses trop antipathiques à nos natures, et la vôtre est certainement la mansuétude. La tristesse dont il est absorbé ne m’étonne point. La chose à laquelle il avait consacré sa vie publique est accomplie : il se survit, et rien n’est plus triste que de se survivre. Pour ne pas se survivre, il faut s’appuyer sur le sentiment moral. Ainsi donc votre douce compassion sera encore son meilleur asile. J’espère que vous le convertirez au sentiment moral. Vous lui ferez comprendre que les plus belles facultés, la plus éclatante renommée ne sont que de la poussière, si elles ne reçoivent la vie et la fécondité du sentiment moral. » De telles pages suffisent à nous donner la mesure d’une âme ; elles nous révèlent tout ce qu’il y avait de profondeur de sentiment, de noblesse et de générosité chez le philosophe lyonnais.

Quand elle n’aurait servi qu’à remettre en valeur la physionomie du bon Ballanche, l’étude de M. Herriot n’aurait pas été inutile. Mais elle sera en outre un précieux complément aux publications de Mme Lenormant. Elle sert de contrôle aux Mémoires d’Outre-Tombe. Elle nous achemine vers une publication de plus en plus complète et authentique de la correspondance de Mme de Staël et de celle de Chateaubriand. Et elle nous permet de mieux juger du rôle de Mme Récamier et de son importance.

Que ce rôle ait été fort exagéré, c’est ce qu’il est difficile de contester. Sainte-Beuve a donné l’exemple : il avait connu Mme Récamier ; il avait été accueilli à l’Abbaye au Bois ; il évoquait, lorsqu’il en