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parlait, des souvenirs personnels. Le bruit que firent les Mémoires d’Outre-Tombe, la curiosité provoquée par des publications et des révélations successives, ont contribué à prolonger jusqu’à nous le prestige de Mme Récamier et de son salon. Mais quand on lit, dans le grand détail où elle nous est contée, la biographie de cette femme célèbre, on s’aperçoit combien les incidens dont elle est remplie sont, pour qui se place à un point de vue un peu général, de médiocre conséquence. Tout leur intérêt est restreint à une petite coterie. Si Mme Récamier a été, pendant un demi-siècle, en relations avec beaucoup de personnes remarquables par l’intelligence, elle n’a nullement contribué à la formation de leur esprit. Elle n’est pour rien dans l’œuvre de Mme de Staël ; il n’est pas bien sûr qu’elle ait inspiré à Benjamin Constant son fameux article ; elle a consolé, flatté, soigné Chateaubriand vieilli, mais elle n’a apporté à son talent aucun élément nouveau. Elle n’a eu aucune influence d’aucun genre ; et ne s’est pas souciée d’en avoir. Dans le temps de sa jeunesse, elle a eu fort à faire de se reconnaître dans le réseau compliqué de ses intrigues personnelles ; plus tard, elle s’est employée à adoucir l’isolement d’un homme de qui le monde s’était écarté. On a toujours, chez nous, fait à l’influence des salons une part beaucoup trop grande. Passe encore pour ceux de l’ancien régime, et pour le temps où la vie de société avait sur la direction des esprits quelque action. Nulle part, moins qu’à l’Abbaye au Bois, on ne s’est soucié d’influer sur le mouvement littéraire ou politique. Aussi peut-être suffirait-il de saluer en Mme Récamier une reine de la beauté ; on la louerait encore, si l’on y tient, et sur le témoignage de ses amis, d’avoir été réellement bonne, et d’avoir eu dans l’esprit un agrément qu’on eût remarqué davantage si on eût été moins préoccupé d’admirer ses grâces extérieures. Mais il serait temps de faire rentrer son histoire dans la chronique mondaine où elle est mieux à sa place que dans l’histoire de la littérature.


RENE DOUMIC.